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croyons, quant à nous, que le chiffre réel est entre 110 et 115 millions) forment 7 pour 100 de la population terrestre. Les États-Unis enfin, s’ils parvenaient à réaliser leur projet de confédération commerciale des trois Amériques, embrasseraient 30 millions de kilomètres carrés, plus de 108 millions d’habitans ou 7 pour 100 de l’humanité. Encore la population de ces deux derniers groupes est-elle en ascension rapide.

En face de ces trois systèmes gigantesques, que pourraient les petites nations de l’Europe occidentale et centrale dans leur morcellement et leur isolement ? Comment s’y pourraient développer la division du travail, la spécialisation des industries et s’y propager les progrès techniques ? C’est une règle incontestable que ceux-ci tendent à se proportionner à l’étendue du marché. L’infériorité des nations de l’Europe centrale et occidentale ne ferait que s’accentuer chaque année. Leur déchéance serait certaine ; elles se trouveraient atteintes d’une anémie progressive. Elles ressembleraient, au bout de quelques décades d’années, à ces bonnes petites villes d’ancienne bourgeoisie où il se rencontre encore quelques fortunes particulières dues à l’épargne, mais d’où le mouvement et la vie se retirent graduellement.

L’idée de vastes groupemens commerciaux était donc, comme on dit, depuis longtemps dans l’air ; c’est et ce sera de plus en plus une des nécessités de notre civilisation. La France, qui a toujours revendiqué le monopole des longs espoirs et des vastes pensées, eût pu et dû en prendre l’initiative. Elle l’avait essayé en 1860 avec succès, gloire et profit. Quelques incidens secondaires ou passagers et son manque habituel de persévérance lui ont fait abandonner cette sorte d’hégémonie, qui pouvait lui rester. Aujourd’hui, c’est l’Allemagne qui le lui ravit.

Pays de labeur, d’audace, d’entreprise, la Prusse revient à ses vieilles traditions, dont M. de Bismarck l’avait pendant douze ans détournée. Quoique pauvre de son sol, la Prusse a toujours été une nation qui ne recule pas plus devant la lutte économique que devant la lutte militaire. Elle a toujours cru que l’assoupissement, l’engourdissement, ne peuvent engendrer ni développer la force. Nation vaillante au plus haut degré, prévoyante aussi, elle n’a jamais cherché à se replier sur elle-même. Au temps du Zollverein, c’était elle, avec les villes hanséatiques, qui préconisait les tarifs modérés ; la Bavière et la Saxe, au contraire, eussent voulu des droits plus protecteurs. Il y a déjà plus de quarante ans, elle admettait en franchise presque toutes les matières premières, y compris le fer brut ; elle n’assujettissait les fers forgés qu’au droit de 1 thaler (3 fr. 75) par 100 kilogrammes, les cotons filés au droit de 2 thalers (7 fr. 50). La politique s’est toujours mêlée, en outre,