Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 109.djvu/586

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

que le tarif de 1882 admettait en franchise. Le protectionnisme s’épanouit, au contraire, dans deux pays dont tous les intérêts réels sont, pourtant, dépendant de la liberté commerciale, l’Espagne et le Portugal. Ce dernier, le 22 septembre 1887, mit en vigueur toute une série de relèvemens de droits et, dans l’agonie financière où il se débat depuis plus d’un an, il accroît constamment, croyant en tirer quelque profit, toutes les taxes de douane. L’Espagne demeura plus longtemps fidèle à la liberté économique qui devrait être sa loi ; mais l’avènement du ministère conservateur, aujourd’hui au pouvoir, l’a lancée dans le protectionnisme à outrance. Les décrets du 26 décembre 1890 augmentèrent de 30 à 60 pour 100 les droits sur les céréales et les farines ; ils quadruplaient les droits sur les viandes salées et triplaient ceux sur les autres catégories de viandes. Les droits sur les mulets étaient portés de 19 fr. 60 à 80 francs par tête, ceux sur les chevaux hongres de 128 fr. 30 à 180 francs, taxe exorbitante. En même temps on élaborait, pour l’expiration prochaine des traités de commerce en cours, des relèvemens encore plus extravagans. L’imprudente, qui ne devrait que prêcher la liberté commerciale, prépare les verges dont elle pâtira.

En Amérique, le mouvement protectionniste paraissait aussi accentué lorsque M. Jules Roche, à l’ouverture de la session d’automne 1890, proposait son tarif douanier et publiait son exposé des motifs. Avec la complaisance d’un ministre bien aise de capter la faveur de la chambre, il faisait ressortir que le tarif américain du 14 juillet 1862, adopté pendant la guerre de sécession et dont les droits étaient déjà fort élevés, avait été remanié dans le sens d’une majoration par toute une série de lois. Codifié en 1874, modifié encore en 1875 et en 1879, refondu par l’Act du 3 mars 1883, puis par un autre, plus rigoureux encore, du 6 octobre 1890, fortifié par les rigoureuses formalités qu’a inventées M. Mac-Kinley, le nouveau régime américain faisait du malheureux importateur l’esclave de la douane, qui peut en user à son égard absolument ad libitum. Il ne comporte pour le commerçant avec l’étranger aucune de ces garanties que stipulaient nos plus anciens traités de commerce français, celui de 1606 par exemple, conclu par Sully avec l’Angleterre, et dont nous avons parlé plus haut.

Le Canada suivait les États-Unis dans la voie des rigueurs douanières. En 1873, il jouissait d’un tarif libéral ; il le remplaça, en 1879, par un beaucoup plus élevé ; puis il marcha de modifications restrictives en modifications plus restrictives encore par des lois de 1880, 1881, 1883, 1885, 1887 et 1888.

Il est donc exact que dans ces dernières années il y avait, dans le monde civilisé, l’Angleterre, la Hollande et la Norvège