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Mais le phylloxéra, en France, et l’immense accroissement de débouché qui en résulta pour les vins espagnols fit planter, de l’autre côté des Pyrénées, d’énormes étendues de plaines basses avec des cépages donnant d’abondantes productions et que l’on cultivait, d’ailleurs, d’une façon très intensive en ne leur menageant pas les fumures. Il en résulta que la très grande partie des vins espagnols ne pesa plus bientôt que de 9 à 11 degrés. Or, le traité de 1881 permettant de les introduire en France jusqu’à 15° 9, on y versait 3, 4 ou 5 degrés d’alcool qui ne payait aucun droit, tandis qu’en France l’alcool employé à remonter les vins paie un droit de 1 fr. 56 par degré. Ces circonstances toutes nouvelles, que le législateur n’avait pas prévues, firent qu’une très grande partie des vins espagnols jouissait réellement en France d’une forte prime à l’importation. On comprend que les viticulteurs français, ayant à faire d’énormes sacrifices pour reconstituer leurs vignes, aient été exaspérés : de là vient qu’ils sont passés avec une grande véhémence dans le camp protectionniste.

Ces circonstances imprévues, la concurrence américaine, le phylloxéra, le relèvement des droits à l’entrée de divers pays étrangers, on en pouvait tenir compte dans la mesure raisonnable. Les droits pouvaient être relevés sur les articles pour lesquels il s’était produit des faits nouveaux d’une incontestable gravité. Mais était-ce une raison pour déchirer tous les tarifs existans, pour refondre par le menu tout notre système de douanes, pour mettre des droits énormes sur tous les objets sans exception, même sur ceux pour lesquels les intéressés n’en demandent pas, comme les soieries, ou ceux que la France ne peut pas produire en abondance ou de bonne qualité, comme la pâte de bois, ou ceux que nous exportons en quantité décuple de ce que nous importons, comme les livres imprimés, les lithographies, etc., ou ceux enfin qui sont indispensables, en tant que matières premières, à nos plus importantes industries d’exportation, comme les fils fins de coton ou de lin ? Était-ce une raison surtout de renoncer au régime des traités de commerce ?

Faute de caractère, le gouvernement français s’est jeté dans le plus inextricable labyrinthe. Ne pensant qu’à flatter la manie ultraprotectionniste des chambres, il a imaginé le système le plus compliqué et le plus impraticable qui soit. Nous avons sous les yeux le projet de loi qui fut présenté par le ministre du commerce au parlement au commencement du mois de novembre 1890. L’exposé des motifs était tout un plaidoyer en faveur des doctrines protectionnistes. Il commençait par une relation des modifications effectuées, depuis 1871, par les principales nations dans leur politique douanière. A part trois États, disait-il, l’Angleterre, la