Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 109.djvu/582

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’honneur de faire voter et qui dura jusqu’en 1860. Cette convention, outre certains avantages à la navigation sur le Rhin et la Moselle, abaissait d’un tiers les droits sur les fromages et la céruse de Hollande, pendant que ce pays supprimait tous les droits de douane sur nos vins et nos eaux-de-vie en cercle et les abaissait sur nos porcelaines, nos verres, nos papiers de tenture, notre coutellerie, notre mercerie, nos dentelles, nos tulles, nos bonneteries, nos soieries. Et ce traité dura jusqu’en 1860.

Ainsi l’antique et nécessaire pratique des traités de commerce, connue et appréciée de Sully et de Colbert, ne fut même pas condamnée, au temps des chambres censitaires et par des ministres comme Molé, Thiers ou Guizot. C’était alors, toutefois, avec les petits États voisins de la France, la Hollande, la Belgique, la Sardaigne, qu’on en usait, dans un dessein aussi politique que commercial, pour empêcher ces intéressans pays, auxquels l’étroitesse de leur territoire permettait moins qu’à d’autres l’isolement, de devenir la proie du Zollverein allemand.

Il était réservé au second empire de généraliser le système. L’extension des traités de commerce aux grandes nations, et, en quelque sorte, au monde civilisé tout entier, a été une pensée proprement française ; elle fut la conception de Michel Chevalier, qui s’en constitua l’apôtre. C’est lui le promoteur unique de toute cette série de contrats. Il prépara ce projet de sa seule initiative, en dehors des ministres du jour. Il eut de la peine à convertir à son idée Cobden, Bright et Gladstone. Tous les trois y répugnaient. Dans leur foi britannique au triomphe du libre échange, ils considéraient un traité de commerce comme une déviation de la ligne droite, comme un marché, a bargain, un marchandage plutôt, indigne des principes. C’est une erreur de croire, en effet, que la généralité des théoriciens économistes soient partisans de ces arrangemens internationaux qui reposent sur la formule : donnant donnant, do ut des. Dernièrement encore, un des hommes qui, en France, ont qualité pour parler au nom de la science s’élevait contre les traités de commerce. Ce dédain transcendantal tient trop peu de compte des nécessités pratiques. Si toutes les sciences pures, la mécanique, par exemple, quand on les veut appliquer, doivent subir, de l’ensemble des circonstances diverses, des corrections, des rectifications : à plus forte raison en est-il de même d’une science comme l’économie politique, qui n’a pas seulement affaire aux élémens matériels, mais aux dispositions morales, sociales, aux préjugés, aux intérêts politiques intérieurs et extérieurs. C’est ce que comprit merveilleusement Michel Chevalier et ce qu’il persuada à Cobden. L’un et l’autre conquirent à leur dessein l’empereur Napoléon III, que ses ministres durent suivre, et ainsi furent signés