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Telle est, dans ses grandes lignes, la législation de la Basse-Birmanie. Avec un tel luxe de précautions[1] et l’appareil si ingénieux et si souple qu’ont imaginé le Scheduled districts Act et le Statut Victoria 33 chapitre 3, section 1, il semblerait que, le jour même de l’entrée des Anglais en Haute-Birmanie, cette législation eût pu y être promulguée tout entière et de plano. Il n’en fut rien cependant : on mit la nouvelle province au régime de règlemens spéciaux qu’on pourrait modifier incessamment, et approprier jour par jour à sa situation. Lord Dufferin, dans le mémorandum que j’ai déjà cité, où il conseillait au secrétaire d’État pour l’Inde l’annexion de la Birmanie, déclarait y mettre cette condition expresse que « dans l’état présent des choses on ne ferait rien pour y étendre l’application d’aucune portion des lois de l’Inde. Je voudrais, ajoutait-il, que le secrétaire d’État pour l’Inde déclarât, par un ordre en conseil, le statut Victoria 33, chapitre 3, section 1, applicable à l’ensemble de la Haute-Birmanie, à l’exception cependant des États shans. Cela permettra à l’administration locale de rédiger de simples règlemens, soumis à l’approbation du gouverneur-général en conseil, lesquels règlemens embrasseront toutes les matières qu’il convient d’asseoir sur une base légale bien définie : tels sont l’administration de la justice, les pouvoirs des administrations, ceux de la police, la perception des impôts. Ces règlemens devraient être formulés de façon à laisser à l’administration locale un large pouvoir discrétionnaire, afin qu’elle puisse organiser tout le détail au moyen d’arrêtés qu’elle amendera avec le temps, suivant ce que lui conseillera son expérience. Dans ces règlemens, on s’inspirerait du code de l’Inde, mais dans la mesure où ce sera pratique ; du moins ne faudrait-il à présent rien d’aussi complet que le système judiciaire indien ; tout ce qui tendrait à l’introduire serait préjudiciable… »

Ces sages recommandations, modèle de prévoyance et de largeur d’esprit, furent écoutées. Le secrétaire d’État rendit applicables à la Haute-Birmanie les deux lois que j’ai citées plus haut. En vertu

  1. On a cependant reproché à cette législation d’être trop compliquée pour ceux auxquels elle s’applique. Dans une série de lettres adressées au Times, en août et septembre 1888, un Birman, sujet anglais, M. Chantoon, déclare (voir notamment la lettre du 18 septembre) que cette législation est trop avancée pour la moitié au moins des Birmans, et, quoique bonne en soi, demeure inefficace. Il importe donc, selon lui, de ne pas l’étendre à la Birmanie supérieure. On tiendra les deux provinces entièrement séparées ; on laissera la Haute-Birmanie accomplir une évolution « de quelques siècles » avant d’introduire les lois et les formes de gouvernement et d’administration de l’Inde et de la Basse-Birmanie ; en attendant, on s’inspirera des coutumes nationales : la législation ne devrait être qu’une compilation des lois de Bouddha et de Manou. (Voir, sur cette idée, le chapitre de l’ouvrage de sir John Strachey, India, intitulé : Lois et Tribunaux de l’Inde.)