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sont dans d’autres pays, et ceux mêmes que leurs occupations retenaient plus habituellement sur la terre ferme étaient soumis à des influences qui se laissent comparer, par leurs effets, à celles que subissent les gens de mer, pêcheurs et matelots du commerce. La terre n’a pas ici l’uniformité qu’elle présente dans les pays de grandes plaines et de moyenne altitude. Elle est toute en contrastes, grâce aux hautes montagnes qui dressent ici leurs cimes à peu de distance des rivages. On marche quelques heures et, du voisinage de neiges presque éternelles, des forêts de hêtres et de sapins, on passe dans des campagnes où la tête du palmier se balance au vent, chargée de dattes qui en Messénie arrivent presque à maturation. Ce n’est pas seulement la qualité de la végétation qui diversifie les aspects ; d’autres oppositions très tranchées tiennent à la distribution des eaux. Au fond de la plupart des ravins, rien que des cailloux roulés et du gravier, une bande jaunâtre où foisonnent en touffes les lauriers et les tamaris ; sans ce mince ruban de verdure, qui, en juin et en juillet, se teint de rose, on ne soupçonnerait même pas qu’il y ait là un courant souterrain, qui filtre et qui coule dans les pierres. Ailleurs, au contraire, sur les versans occidentaux de l’Hellade, vous rencontrez des torrens limpides qui, comme la Néda, bondissent en cascatelles, parmi les chênes penchés sur le gouffre ; d’autres, comme le Ladon, coulent à pleins bords sous l’ombre épaisse des platanes dont les branches s’entre-croisent d’une rive à l’autre. Parfois vous êtes arrêté par des fleuves qui, comme l’Alphée et l’Achéloos, ne se laissent pas partout traverser à gué, même dans la saison sèche. Le Péloponèse a jusqu’à un lac qui, avec son cadre d’arbres noirs et de prairies, rappelle en petit les lacs de la Suisse ; c’est le lac Phénée, au pied du Cyllène.

Cependant l’eau reste rare, et c’est ce qui lui donne un prix inestimable, ce qui explique le culte rendu aux nymphes des sources et le soin que la plastique a pris de leur prêter une forme dont la beauté répondît aux honneurs que leur rendait la piété populaire. On se disputait partout, en Grèce, jusqu’au moindre filet d’eau courante, et, pour mettre fin aux querelles, des contrats placés sous la protection des tribunaux avaient été partout conclus pour régler le partage du précieux liquide entre les propriétaires de biens-fonds ; chacun d’eux avait ses heures d’eau, heures de jour ou heures de nuit, et des peines sévères avaient été édictées contre les fraudeurs qui chercheraient à priver les ayans droit de la quantité d’eau qui leur était due. Les anciens affirmaient que les décemvirs avaient rapporté d’Athènes à Rome toute la partie des lois de Solon qui avait trait à cette matière. C’est que, grâce