Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 109.djvu/555

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

présentées en Phénicie, c’est la supériorité de la culture grecque. Les esprits qui, là-bas, n’étaient occupés que du lucre se sont épris ici du beau et du vrai ; les lettres, la philosophie et les sciences les ont provoqués à la réflexion et les ont rapidement mûris ; la rhétorique a mis au service des intérêts et des ressentimens privés ou publics une éloquence nourrie d’idées générales qui relevait la dignité des luttes de parti. Sur tous ces théâtres où l’attention des spectateurs ne se relâchait jamais, politique, artiste ou poète, écrivain ou orateur, l’homme, toujours en vue et en action, ne cessait de déployer une énergie passionnée, et, ce qui ajoutait encore à l’ardeur de l’universel effort, c’était la vive émulation de ces villes, à la fois rivales et sœurs, dont aucune ne se résignait volontairement à ne point être tout ce qu’étaient les autres, à leur laisser prendre sur elle-même un avantage quelconque, à les laisser conquérir une gloire dont elle n’eût pas sa part. Ce qui fait donc la haute originalité de la Grèce, on peut l’affirmer sans craindre de paraître ignorer les essais que d’autres avaient déjà tentés dans cette même voie, ce qui a été l’œuvre propre de la Grèce dans le travail de la civilisation antique, c’est la fondation, c’est la création de la cité.


III

Dans la péninsule hellénique et dans ses dépendances, le relief du terrain et son fractionnement ont donné naissance à la cité ; la nature du sol et celle du climat y ont eu une action heureuse sur le développement de la plante humaine, la pianta uomo, comme dit Alfieri. Le sol concourt ici avec la mer, avec cette mer qui l’entoure de toutes parts, à faire des corps souples et robustes, des esprits agiles et curieux. Il n’est pas de vie qui endurcisse plus les membres à toutes les fatigues et qui les plie mieux à tous les genres de mouvement que celle du marin ; en même temps elle trempe le caractère par la soudaineté des périls où elle jette même les plus prudens et les plus expérimentés, par ce qu’elle exige de sang-froid et de vaillance ; enfin elle ouvre l’intelligence par les surprises qu’elle lui ménage, elle lui donne de la précision en la contraignant à être toujours attentive aux changemens de temps et de milieu, à devenir exacte observatrice, à noter les traits particuliers et distinctifs des hommes et des choses. Il y avait bien peu de Grecs qui, soit en vertu de leur profession, soit à l’occasion de leurs fréquens voyages, n’eussent pas plus ou moins vécu sur mer et reçu cette éducation ; mais d’ailleurs les différences n’étaient pas aussi tranchées, ici, entre les diverses classes de la population, qu’elles le