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sont intéressées auront bientôt fait de donner un tour de clef et de tirer le verrou. « La Grèce est faite comme un piège à trois fonds, dit Michelet. Vous vous trouvez pris en Thessalie, puis entre les Thermopyles et l’isthme, puis enfin dans le Péloponèse. »

C’est un grand avantage pour un peuple que de se sentir ainsi en sûreté dans le pays qu’il habite, comme en une bonne maison bien close, pourvue de murs épais et de fortes serrures ; mais ce n’est point là le seul profit que la race grecque, ait tiré de la disposition très particulière du terrain sur lequel s’étaient établis ses ancêtres, elle lui a dû de faire la première, dans des conditions favorables, l’expérience du régime municipal et la preuve des beaux résultats qu’il peut donner chez un peuple heureusement doué. Ce régime est celui où la notion de la ville et celle de l’État se confondent, où chaque ville est un corps vivant dont tous les membres prennent une part plus ou moins directe à l’administration de la chose publique. Seule, dans le monde oriental, la Phénicie avait connu quelque chose d’analogue. L’Egypte, la Chaldée et l’Assyrie avaient eu de grandes villes, des villes plus riches et plus populeuses que ne le furent jamais les plus célèbres des villes grecques ; mais ce n’étaient que des agglomérations. La foule des sujets du monarque était plus pressée à Memphis, à Babylone et à Ninive que sur d’autres points du territoire ; elle vivait là, ramassée dans de hautes maisons, à l’abri d’une enceinte fortifiée ; mais, pas plus là que dans les campagnes voisines, elle ne formait un groupe de citoyens ; elle n’avait aucun des attributs de la souveraineté. Au contraire, Tyr et Sidon, Utique et Carthage ont été des républiques, des États indépendans ; elles ont montré, pendant plusieurs siècles, une vigueur, un esprit d’initiative, un patriotisme admirable ; mais la liste serait courte des villes phéniciennes qui ont joué un rôle de quelque importance, et, de plus, la pensée y était trop exclusivement tournée vers un seul objet, la conquête de la richesse, pour que l’on pût juger le régime sur cet unique exemple. C’est en Grèce qu’il a témoigné pour la première fois de toutes ses vertus. Les villes grecques ont été bien plus nombreuses que celles de la Phénicie : ce n’est pas sans surprise que l’histoire constate combien, du VIIIe au IIIe siècle avant notre ère, la vie, dans toute l’étendue du monde hellénique, fut à la fois intense et dispersée, quelle puissance organique, quelle activité intérieure et quelle force d’expansion possédait chacun de ces petits États que l’essor du génie grec avait répandus, depuis le fond du Pont-Euxin jusqu’aux colonnes d’Hercule, sur tous les rivages de la Méditerranée. Ce qui, partout, y a donné à cette vie municipale une noblesse et une variété qu’elle n’avait jamais