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lignes lui étaient familières. S’il prenait, pour cette fois, le parti de reculer, il n’aurait qu’à donner un coup de barre et à virer de bord ; il aurait bientôt regagné l’abri du mouillage quitté le matin même ; mais, à la première occasion, quand le ciel serait encore plus sûr, il entreprendrait avec plus de confiance, dans la même direction, un nouveau voyage, et, d’essai en essai, s’aguerrissant et s’enhardissant par degrés, il finirait par toucher le but.

Les Phéniciens ont eu vraiment plus de mérite que les Grecs à devenir les marins qu’ils ont été. En face de la côte syrienne, rien qu’une vaste étendue de mer, toute grande ouverte aux vents de l’ouest et du sud, qui, pendant une grande partie de l’année, en soulèvent et en agitent les flots ; point même de ces îles, qui, posées comme des jalons sur la route du large, offrent un asile et une relâche opportune aux équipages fatigués par la houle. Sur le littoral, jusqu’au moment où l’on eut commencé de construire des môles qui fermassent au ressac de la vague des mouillages que protégeaient mal la pointe d’un cap ou quelques petits îlots rocheux, restes d’une falaise rongée et détruite par les tempêtes d’hiver, point de ports. Combien différens sont le dessin et l’aspect des côtes de la Grèce, de la Thrace et de l’Asie-Mineure ! La péninsule hellénique se divise, dans le sens de la longueur, en deux masses d’inégale importance, mais de largeur à peu près pareille, la Grèce centrale et le Péloponèse. Chacune de ces masses, la première sur ses flancs occidental et oriental, la seconde à l’ouest et surtout au sud, se partage à son tour en presqu’îles secondaires, dont quelques-unes, la Magnésie par exemple et l’Argolide, s’infléchissent à angle droit comme un membre plié ou décrivent un contour d’une irrégularité singulière, dans lequel des poches profondes se creusent entre les ressauts d’un rivage montueux. En plus d’un endroit, les îles sont ainsi placées que l’on y aborde en quelques coups de rames ou même que, comme à Leucade et à Chalcis, un pont les rattache au continent. Dans les sinuosités de ces détroits, les eaux sont toujours calmes ; mais d’ailleurs tout est ici refuge et abri. Ce sont les criques étroites, qui s’enfoncent entre les dentelures des côtes rocheuses ; ce sont des anses moins bien closes, mais dont la grève, doucement inclinée, invite les barques à venir s’y échouer et y dormir sur le sable. Ce sont de vastes bassins, tels que le Pirée, qui ne communiquent avec l’extérieur que par un étroit goulet et où, quelque temps qu’il fasse, des centaines de navires peuvent rester à flot. La plupart de ces ports, petits ou grands, ouvrent sur de larges baies dont toute la surface est déjà protégée, par les hauteurs qui l’environnent, contre l’action de la plupart des vents ; il y en a même, comme le golfe Pagasétique et le golfe d’Ambracie, surtout comme le golfe de Corinthe,