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de même espèce qui étaient appelés à produire les mêmes fruits. La couleur et le goût de ces fruits auraient, il est vrai, risqué de se modifier, à la longue, sous l’influence des sols très différens où les arbres avaient été transplantas ; mais ce qui empêcha l’écart de se produire ou du moins ce qui le maintint dans de très étroites limites, ce furent les relations très intimes que ne cessèrent pas d’entretenir les uns avec les autres les fils épars des mêmes ancêtres, les Grecs de l’Hellade et ceux des cités même les plus lointaines. Ils y étaient aidés par la disposition de toutes ces péninsules d’Asie et d’Europe, dont les côtes se regardaient et poussaient devant elles, comme des bras tendus, de longs promontoires qui semblaient vouloir se rencontrer. Au cours du trajet qui le mène des ports de la Grèce orientale à ceux de l’Ionie, le navigateur ne perd pas la terre de vue, même un seul instant. Il y a quelques mois, j’étais parti, le soir, d’Athènes pour les Dardanelles. La nuit s’était passée à longer les rivages de l’Attique. Quand le jour se leva, nous avions déjà doublé la pointe de Sunium, nous franchissions le détroit qui sépare Andros de l’Eubée, et nous commencions à traverser la partie de la mer Egée où les îles sont le plus rares, où il y a les plus grands espaces libres. Je regardais vers l’avant du bateau ; je vis apparaître Tune après l’autre, sortant des flots, Psara, qui est toute voisine de Chios, puis Chios même, et, par derrière, la tête noire du cap Mimas, qui ferme à l’ouest le golfe de Smyrne ; nous avions reconnu la côte d’Asie. Je me retournai alors pour donner un dernier coup d’œil, s’il en était temps encore, à cette Grèce que je venais de revoir après tant d’années. Elle avait disparu, mais nous avions à notre gauche Skyros, qui en dépend, et, bien loin par-delà, on apercevait encore, toute blanche sous les rayons du soleil, la pyramide neigeuse de l’Ocha, la plus haute cime de l’Eubée.

Nulle part ailleurs, la Méditerranée n’offre une pareille disposition et un aussi étroit rapprochement des massifs continentaux, avec des îles aussi nombreuses et aussi voisines les unes des autres. Il y avait là, pour les habitans de toutes ces plages européennes et asiatiques, une provocation directe à l’esprit d’aventure. Comment ne pas être tenté de se lancer sur la mer, à la rencontre et à la conquête de toutes ces terres dont, par les jours clairs, les sommets lointains et les promontoires se laissaient découvrir à l’horizon ? Se hasardait-on, par un beau temps, à risquer la traversée, en quête de l’inconnu, on n’avait rien à craindre pour le cas où l’on serait pris, en chemin, soit par le calme, soit par le vent contraire. Tout en avançant vers ces côtes, qui d’heure en heure surgissaient et grandissaient devant lui, le pilote cherchait des yeux et retrouvait toujours à la même place celles dont les