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C’est donc suivre le conseil et l’exemple de quelques-uns des plus grands esprits de la Grèce que de chercher, lorsqu’on écrit son histoire, à comprendre dans quelle mesure et de quelle manière ce peuple exceptionnel a subi, pour parler la langue même d’Hippocrate, l’action « des airs, des eaux et des lieux. » Il y a là une relation à déterminer, celle qui existe entre les aptitudes que le groupe de tribus d’où est sortie la nation grecque a portées avec lui sur les rivages de la mer Egée et les caractères physiques du pays où il s’est trouvé ainsi jeté, dans des temps très lointains, par les hasards de sa destinée. Un des termes du rapport, c’est l’ensemble des dispositions acquises, des idées, des croyances et des moyens d’expression que possédaient déjà, lorsqu’ils se sont séparés, les divers membres de la famille aryenne, et c’est aux savans qui s’occupent de grammaire, de mythologie et d’ethnologie comparatives à définir de leur mieux ce fond commun. Quant à l’étude du milieu dans lequel se sont développées les tribus à qui s’est appliqué, vers le VIIIe siècle avant notre ère, le nom générique d’Hellènes, la première condition nécessaire pour l’entreprendre avec quelque chance de succès, ce sera d’avoir vécu soi-même dans ce milieu, d’avoir vu sur place comment l’homme parvient à s’y accommoder, comment il en utilise les avantages et par quel effort il a surmonté les obstacles qu’il y rencontrait, en telle façon qu’il a fait tourner les défauts mêmes du sol et les contrastes du climat au profit de son énergie et de l’harmonieux équilibre de ses facultés, de cet équilibre instable et rare qu’Hippocrate et Aristote signalaient déjà comme l’attribut distinctif de la race à laquelle ils étaient fiers d’appartenir. Un séjour prolongé en Grèce nous a mis à même de suivre l’habitant de cette contrée dans ce travail d’adaptation, dans la lutte de tous les instans qu’il soutient contre une nature qui, malgré son charme et ses sourires, ne donne rien à ses fils sans le leur faire acheter et payer comptant, sans qu’ils aient peiné de l’intelligence et des bras. Dès le jour où nous avons débarqué dans ce pays pour y passer trois années, qui sont restées les meilleures de notre vie, nous n’avons pas cessé de nous intéresser aux péripéties de ce combat et au jeu de ces actions lentes et complexes que les choses exercent sur l’homme. Deux voyages postérieurs nous ont fourni l’occasion de contrôler et de compléter nos impressions premières. C’est ce qui nous encourage à revenir sur cette question, quoiqu’elle ait été traitée par la plupart des historiens qui, dans ces derniers temps, ont entrepris d’écrire l’histoire de la Grèce. Plus d’un, parmi eux, n’avait étudié que dans les livres et sur les cartes la forme de cette terre, le dessin de ses rivages, le relief de ses montagnes, la douceur et les caprices de son ciel ; il n’en parlait que par ouï-dire, et il