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LES ANGLAIS EN BIRMANIE.


-Birmanie l’acclimatation des lois de l’Inde, puis à préparer en Haute-Birmanie l’acclimatation des lois de la Birmanie inférieure.

Les lois de l’Inde feraient honneur à n’importe quelle communauté. C’est l’opinion de sir Henry Sumner Maine, qui s’y connaissait, c’est celle d’un homme, sir John Strachey, qui a écrit sur l’Inde le meilleur livre que l’on puisse lire à l’heure actuelle (1). Les lois criminelles, notamment, sont une merveille. C’est un fait bien remarquable que les Anglais s’inquiètent d’avoir de bonnes lois criminelles plus que de bonnes lois civiles. Je crois en discerner deux motifs. La législation pénale des civilisations inférieures est d’une cruauté qui révolte les peuples civilisés. Elle n’en révolte aucun plus que le peuple anglais. On ne peut certes pas dire des Anglais qu’ils soient les champions des idées d’humanité. Mais ils sont les ennemis des idées de cruauté, en tant surtout qu’elles sont inscrites dans les lois. Étant ce qu’ils sont, ils devaient, dans l’Inde, comme dans toutes leurs colonies, s’efforcer d’introduire, avec des ménagemens qui durent encore, un code pénal plus humain. Voilà le premier de leurs motifs ; voici le second. Dans les affaires criminelles, le conflit s’élève entre la société et un individu. Or, les Anglais, — sachant tout le danger des répressions excessives, — semblent redouter que le juge, qui représente la société, n’embrasse trop ardemment contre l’individu la cause de cette société, qui est en même temps sa cause à lui ; et leur crainte redouble, quand cette société est l’Angleterre civilisée et que l’individu est l’Asie primitive. Ils croient donc utile, en cette occurrence, de se prémunir contre les passions du citoyen anglais. Ils s’en rapportent, contre leur ordinaire, davantage au texte de loi et moins au juge, et prennent un souci extrême de déUmiter ses pouvoirs d’appréciation et de condamnation. Dans les affaires civiles, au contraire, le conflit existe le plus souvent entre deux particuliers. Le juge est alors réputé impartial, car sa partialité serait cette fois avilissante. On hésite donc moins à étendre ses pouvoirs : on lui laisse souvent le soin d’interpréter et d’appliquer la loi, au besoin de la suppléer. Et c’est bien là ce que nous rencontrons dans l’Inde. L’œuvre de législation criminelle est achevée : le code pénal, dû à une commission qu’a présidée lord Macaulay, peut rivaliser avec n’importe quelle œuvre juridique, et le code de procédure criminelle et la loi sur les témoignages offrent toutes les garanties. L’œuvre de législation civile, au contraire, est incomplète. On a terminé, il y a quelques années, un

(1) Voir la traduction qu’en vient de donner M. Harmand, ministre plénipotentiaire, et l’excellente introduction dont il l’a fait précéder, 1 volume in-8o, Paris, Société d’éditions scientifiques, 1891.