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valeur. Chez les peuples comme chez les particuliers, le savoir n’est pas si rare que le bon sens. Les hommes et les gouvernemens ne sont pas, en général, ignorans ou imprévoyans autant qu’ils le paraissent. Presque tous, ils savent discerner où est le juste et l’utile ; presque tous, ils voient la route qu’il serait sage de suivre et les procédés qu’il serait opportun d’employer. Presque tous, ils reconnaissent l’existence de certaines règles et de certains principes ; ils en prêchent même l’observation. Mais tous aussi ou presque tous, dès qu’ils sont en cause, ils croient pouvoir échapper à la nécessité de les respecter. Ils se persuadent que cette infraction n’aura pas de conséquences, ou que ces conséquences pourront se réparer ; que les faits inéluctables ne se produiront pas ou qu’alors, les dieux bienveillans interviendront. Voici, par exemple, une règle démontrée par l’expérience. Une colonie située à deux mille lieues de la métropole, et qui en diffère par le climat et la civilisation, a besoin de fonctionnaires plus sûrs encore et mieux préparés que la métropole. C’est là une vérité incontestable, dont tous nos voisins ont tenu compte. Et cependant, depuis cent ans et plus, nous, Français, nous n’avons presque rien fait pour procurer à nos colonies des fonctionnaires même passables. Nous avons compté sur la chance ; la chance n’a pas répondu, et nos colonies sont, quoi qu’on puisse tenter aujourd’hui, déplorablement gérées. On pourrait citer vingt autres exemples. Or, les études que nous poursuivons font ressortir cette vérité : qu’il existe dans la politique coloniale des règles nécessaires, dont rien ne peut dispenser ; que l’observation stricte de ces règles contribue à préparer un succès toujours douteux ; enfin, que seules ont réussi à fonder des colonies prospères, les nations qui, en dépit de tout, et même au prix de durs sacrifices, ont satisfait à ce que ces règles imposent.

L’expérience des Anglais en Birmanie fournirait déjà matière à bien des observations intéressantes. Nous nous bornerons à deux ou trois d’une importance capitale. Nous étudierons seulement d’une part, le régime légal institué en Birmanie et le recrutement des fonctionnaires ; d’autre part, le régime économique et la mise en valeur du pays.

I.

Rien peut-être ne mettra mieux en évidence les procédés de gouvernement de l’Angleterre, que l’œuvre législative accomplie en Birmanie. Cette œuvre, on pourrait la qualifier d’un mot : c’est une œuvre d’acclimatation. Elle a consisté à préparer en Basse-