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-père, lettre d’ailleurs aussi respectueuse que fine, prouve que ce grand pape Léon XIII s’est toujours préoccupé à la fois et de sauvegarder autant qu’il le pouvait les intérêts catholiques dans notre pays et de préparer la paix religieuse en France. C’est la politique qu’il a suivie depuis dix ans, mettant toute sa prudence à séparer la cause de l’Église de la cause des partis hostiles à la république. C’est la politique qu’il suit encore, qu’il conseille évidemment, qu’il inspire aux évêques, au clergé français, et qui est le désaveu de toutes les polémiques, de toutes les manifestations aventureuses. Il y a aussi, il y a surtout contre la politique d’agitation et d’irréconciliabilité, l’instinct profond et presque universel du pays. On aura beau s’évertuer dans les journaux et dans les discours, prétendre tour à tour parler pour le pays en lui prêtant des passions qui ne sont que des passions de partis : le pays reste ce qu’il est, patient et invariable dans son bon sens. Il ne demande ni les guerres constitutionnelles avec l’abolition du sénat, ni les guerres commerciales qui peuvent lui fermer l’entrée des pays étrangers, ni les guerres religieuses par l’abolition du concordat, par une sorte d’incompatibilité déclarée entre la république et les croyances traditionnelles. Cette grande masse française, qu’on soumet à toutes les expérimentations, ne demande au fond que la paix en tout. C’est son instinct, c’est son vœu, parce qu’elle sent que la paix qui a préparé sa réhabilitation est en même temps la garantie de sa grandeur et de son avenir.

Aussi bien la paix est aujourd’hui le mot d’ordre presque universel en Europe. C’est avec des paroles de paix que l’année s’est ouverte à peu près partout, à Vienne comme à Berlin, à Paris comme à Rome. M. le président de la république s’est fait l’interprète de ce sentiment dans le petit discours qu’il a adressé au corps diplomatique, représenté par le nonce du pape, et le roi Humbert a tenu le même langage à Rome. Cela ne veut pas dire certainement que tout ce qui a préoccupé depuis si longtemps et ce qui préoccupera sans doute longtemps encore l’Europe, ait disparu comme par enchantement, pour la bienvenue de l’année nouvelle ; cela veut dire plus simplement qu’il n’y a, à l’heure qu’il est, aucune difficulté trop pressante, aucune apparence de complications prochaines ; cela signifie non pas que la situation de l’Europe s’est miraculeusement éclaircie et raffermie, mais qu’il y a dans les gouvernemens l’intention arrêtée, la volonté réfléchie de ne pas se laisser trop facilement émouvoir, d’écarter les incidens qui ne sont que des incidens. Les tarifs de douane, les traités de commerce sont aujourd’hui la première occupation de la diplomatie. La grande affaire est de savoir ce que vont être avant peu les rapports des peuples, comment une entente s’établira entre des pays accoutumés à un autre régime, entre la France et l’Espagne surtout pour le 1er février, quels seront les résultats de ce nouvel ordre économique qui com-