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REVUE. — CHRONIQUE.


tant les susceptibilités religieuses, s’efforçant de retenir le clergé dans l’irréconciliabilité, accusant presque de trahison les évêques suspects de modération, bravant la dénonciation du concordat, dont on les menaçait. Ultra-conservateurs et radicaux, obéissant à des inspirations opposées, à des mobiles et à des calculs différens, se sont rencontrés sur un seul point, — la nécessité pour eux de pousser aux ruptures irréparables, de ruiner à tout prix la politique de conciliation et d’apaisement. Voilà le fait ! entre ces deux partis si singulièrement conjurés pour prolonger l’agitation, il y a seulement une différence. Quand les radicaux, tout pleins de leur fanatisme de secte, s’acharnent aux conflits religieux, saisissent toutes les occasions d’entretenir le trouble moral et tiennent en réserve la menace perpétuelle de la suppression du budget des cultes, de l’abolition du concordat, on les comprend ; ils sont dans leur rôle, ils font leur métier, si on nous passe le mot. Ils sentent que tout ce qui peut assurer ou rétablir la paix, rallier les forces morales du pays dans la république, diminue leur ascendant, qu’ils ont besoin de l’état d’hostilité pour imposer au gouvernement leur compromettante alliance. On peut se demander quel intérêt ont des conservateurs à se faire les complices de cette dangereuse tactique, ce qu’ils peuvent gagner à essayer d’entraîner le clergé et les catholiques français dans des scissions irréparables, dans une irréconciliable hostilité contre les institutions elles-mêmes. On pourrait se demander aussi à quel titre ils se croient autorisés à disposer de l’Église, à accepter pour elle, par l’abolition du concordat, une prétendue liberté qui ne serait probablement qu’une servitude aggravée, qui, dans tous les cas, serait pour la France le commencement d’une crise indéfinie. C’est ce qu’on pourrait appeler faire la guerre pour la guerre. Le plus clair est qu’à ce redoutable jeu on risquerait de compromettre tous les intérêts religieux, sans profit pour l’intérêt politique qu’on prétend défendre et servir.

Qu’en sera-t-il de toutes ces polémiques irritantes, de ces tentatives pour réveiller et envenimer des conflits qui semblaient commencer à s’apaiser ? Quels que soient leurs efforts, les partis extrêmes ne peuvent pas tout heureusement. Contre la politique de violence et de guerre, il y a un ensemble de sentimens, d’intérêts, de forces et de prévoyances qui résistent aux excitations. Il y a d’abord le pape, dont la patience éclairée et vigilante ne se laisse pas facilement décourager, et qui dès le premier moment, à n’en pas douter, s’est montré peu favorable à cette récente recrudescence d’agitation. Que le souverain pontife ressente vivement les blessures de l’Église, les excès du radicalisme dans les affaires religieuses en France, c’est bien évident, il ne l’a jamais caché ; il n’est pas moins resté l’homme d’une conciliante modération dans ses rapports avec notre nation. Une lettre publiée dernièrement, écrite dès 1883 par M. Jules Grévy au saint-