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REVUE. — CHRONIQUE.


chambre, abusée et gonflée de son omnipotence, dépasse à tout instant et à tout propos ses droits. Le sénat hésite et recule le plus souvent, ou, s’il a l’air de résister, d’exercer la plus modeste de ses prérogatives, il est accusé de provoquer des conflits, d’être un obstacle à tout. Entre ces deux assemblées, le gouvernement promène ses perplexités et ses doutes, craignant de trop faire sentir son autorité, multipliant les concessions, s’étudiant à tout ménager pour garder une majorité, — et à ce jeu perpétuel tous les ressorts s’usent sans profit. C’est une histoire qui recommence. On a déjà oublié la bourrasque qui a failli tout emporter il y a deux ans à peine, et on n’a pas tardé à reprendre les vieilles habitudes de partis comme si rien ne s’était passé. On se remet à abuser de tout, sans prendre garde que les mêmes causes peuvent produire les mêmes effets, et qu’un jour ou l’autre on peut se réveiller avec des pouvoirs affaiblis, devant une nation fatiguée, prête à céder aux captations pour échapper aux déceptions d’un régime qui ne sait pas même respecter sa propre constitution.

Assurément, la chambre, qui est censée représenter le plus directement le pays, a aussi les droits les plus étendus, et on ne les lui conteste pas. Elle a plus de droits qu’elle n’en peut exercer avec profit. Depuis six mois, elle a pu se livrer en toute liberté aux discussions les plus illimitées sur le régime commercial, sur le budget, en mêlant même à ces discussions un certain nombre d’interpellations et de motions sur toutes les affaires de la politique : soit, c’est son rôle, elle est une assemblée libre pour tout discuter. Qu’arrive-t-il cependant ? Par une sorte d’entraînement auquel on s’est trop prêté et qui est devenu une dangereuse habitude, cette chambre qui a certes une grande puissance, mais qui n’a que sa place dans l’organisation parlementaire, a fini par ne plus même s’en tenir à la constitution.

Elle ne se contente pas d’exercer ses droits dans toute leur étendue, elle supprime les autres pouvoirs ou elle les traite sans façon comme s’ils n’existaient que pour l’exécution de ses volontés. Certainement, une des choses les plus extraordinaires est cette lutte obstinée qu’a récemment soutenue la chambre pour disputer au gouvernement le droit de négocier sur les tarifs avec les nations étrangères, pour l’enchaîner à une tarification immuable ; elle est allée jusqu’à la menace et par le fait, si le gouvernement a sauvé en apparence sa prérogative, il est resté dans une position singulièrement délicate, réduit à ne pouvoir ouvrir que des négociations sans issue, ou exposé, s’il engage sa responsabilité, à retrouver une majorité protectionniste irritée dans la chambre. Il est cependant bien clair que les députés protectionnistes ne peuvent de leur propre autorité supprimer le droit de négocier des traités que la constitution donne au gouvernement. — À propos du budget, la chambre, par une tradition malheureuse, ne se borne plus depuis longtemps à discuter sur les finances, sur la situation