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Les circonstances ont changé, avec la crise d’idées qui rendra ces dernières années si intéressantes, quand on les verra mieux, les voyant de plus loin. Chaque jour donne un peu plus raison à celui qui prédisait la résurrection de Lamartine. Au centenaire de 1890, on a senti que le poète des âmes reprenait ses sujettes. De partout, les hommages lui reviennent, effusions lyriques de ses disciples, paroles éloquentes des orateurs, jugemens favorables des lettrés. MM. J. Lemaître et Faguet se sont trouvés d’accord pour dire qu’il est plus qu’un poète, qu’il est la poésie toute pure. M. de Pomairols nous a donné son Lamartine, un livre inégal, incomplet, mais touchant par la piété qu’il respire, excellent dans les parties où l’auteur définit une sensibilité qu’il est si bien fait pour comprendre. Hier encore, un honorable membre du barreau de Mâcon, M. Félix Reyssié, m’apportait un volume sur la Jeunesse de Lamartine. C’est, on le devine, une offrande fervente au dieu local. M. Reyssié décrit avec amour la terre et les sites où le génie de Lamartine s’est docilement moulé ; il montre comment tel vers est né de tel accident du sol ; il glane dans la région quelques éclaircissemens complémentaires sur les épisodes de jeunesse. Bien peu à la vérité : on s’étonne que Lamartine n’ait pas découragé ses biographes ; il faut une passion de chasseur pour fouiller encore les buissons, quand tout est sorti avec ces tristes et copieuses battues de souvenirs, les Confidences, les Commentaires, la Correspondance. Le livre de M. Reyssié est d’une lecture agréable ; s’il était besoin d’un conseil pour relire Lamartine et d’une occasion pour parler de lui, on ne saurait trouver conseil plus persuasif et occasion meilleure.

Je ne viens point essayer ici une étude littéraire : tout a été dit par nos aînés, les contemporains du poète, et redit à la nouvelle mode par les critiques plus récens. Les subtilités doctrinales sont vraiment trop déplacées à propos de Lamartine ; tout le nécessaire tient dans le verdict du bon sens, rendu à cette place par M. de Mazade, il y a vingt ans : « Ce n’est point par l’originalité ou par l’étonnante grandeur des sentimens et des pensées que brille Lamartine ; il exprime le plus souvent les croyances et les idées de tout le monde, ce qu’il y a de plus simple dans l’âme humaine, le christianisme du foyer, le culte de la maison de famille, la pensée des morts, l’élan vers l’infini ou l’amour terrestre. Il transforme en poésie ce que les enfans et les femmes sentent comme les hommes, et c’est pour cela qu’il a parlé à tous les cœurs. » Et voilà assez de littérature, au sujet de ce grand joueur qui joua toutes les parties de la vie, la partie de la gloire littéraire comme les autres, sans y attacher plus d’importance qu’aux autres,