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tabac est composée de gens d’une bonne foi incontestable. Nous ne sommes plus au temps où les docteurs en Sorbonne, qui argumentaient contre le tabac, puisaient de temps en temps leurs inspirations dans leur tabatière ; les nicotinophobes d’aujourd’hui sont convaincus de l’importance de leur apostolat. Ils assimilent le tabac à l’alcool au point de vue de ses effets nuisibles et le poursuivent par les mêmes moyens.

S’inspirant de l’idée généreuse qui a fait naître, au commencement de ce siècle, les sociétés de tempérance, M. Decroix a fondé, en 1868, la première Association française contre l’abus du tabac. Quatre ans après, cette société étendit son action à l’alcoolisme. Ce ne fut plus alors qu’une société de tempérance comme les autres, et M. Decroix, prévoyant qu’elle perdrait fatalement de vue son but primitif, en institua une seconde sous le nom de Société contre l’abus du tabac. L’autorisation lui fut accordée le 5 février 1877. Depuis lors, elle a pris de l’extension et compte aujourd’hui plus de 1,000 membres. Elle a ses revenus, son fonds de réserve, son journal qui paraît tous les mois ; elle décerne chaque année, à la suite d’un concours, des prix qui sont disputés par de nombreux compétiteurs.

En 1881, la Société contre l’abus du tabac, forte de son succès, adressa au ministère de l’intérieur une demande à l’effet d’être reconnue comme établissement d’utilité publique. Avant de se prononcer, le ministre consulta l’Académie de médecine, et celle-ci, après avoir entendu le rapport très remarquable que M. Lagneau lui lut à la séance du 24 mai 1881, au nom de la commission, répondit au ministre : « 1° qu’il y avait un intérêt d’hygiène publique à faire connaître l’action nuisible que peut avoir le tabac employé d’une manière excessive ; 2° que cette action nuisible était démontrée par un ensemble de faits et d’inductions dès à présent acquis à la science. »

Cette sentence, un peu évasive, laissait de côté la question d’utilité publique, et il ne fut pas donné suite à la demande de la Société. Celle-ci n’en poursuivit pas son œuvre avec moins d’énergie dans ses réunions et dans son journal. Cette campagne continue. Tous les faits nouveaux qu’on peut recueillir à la charge du tabac sont apportés à cette tribune, et personne n’est là pour plaider les circonstances atténuantes. Parfois aussi la question est soulevée à la Société de médecine publique ; mais il s’y trouve des contradicteurs, et les discussions sont parfois animées.

Les accusations dirigées contre les fumeurs sont, comme je l’ai dit, de deux ordres. On leur reproche de ruiner leur santé et d’abrutir leur intelligence. Le premier grief est fondé dans une certaine mesure. Il est certain qu’une pareille habitude n’a rien