Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 109.djvu/430

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

résultat d’une erreur médicale : on donne encore quelquefois la décoction de tabac, en lavement, dans les cas d’asphyxie par submersion, de hernie étranglée, et, si l’on exagère la dose, la mort peut en être le résultat. Orfila cite quatre cas dans lesquels elle a été causée de cette façon, par des doses variant de 8 à 64 grammes. Le sujet qui a succombé le plus rapidement est mort au bout de quinze minutes, celui qui a résisté le plus longtemps, au bout de deux heures. Huit grammes de tabac ne constituent pas une dose toxique ; mais, dans le fait cité par Orfila, il s’agissait d’un jeune enfant. Il en faut de 15 à 30 grammes pour faire périr un adulte.

Le tabac peut également produire des accidens d’empoisonnement par la voie pulmonaire. On cite des cas de mort chez des gens qui s’étaient endormis dans une pièce remplie de feuilles de tabac en fermentation ; d’autres, les dignes émules des parieurs dont je parlais plus haut, ont succombé pour avoir fait la gageure de fumer, sans interruption, un nombre invraisemblable de pipes, et pour l’avoir tenue.

La peau peut elle-même servir de voie d’introduction au principe toxique. Les accidens de ce genre n’étaient pas rares, lorsqu’on traitait les maladies cutanées avec des pommades ou des linimens dont le tabac faisait la base. Murray rapporte l’observation de trois enfans qui furent pris de vomissemens, de vertiges, et moururent en vingt-quatre heures, dans les convulsions, pour avoir eu la tête frottée avec un onguent au tabac. Dans les nombreuses enquêtes provoquées par les méfaits de cette substance, on trouve l’histoire de contrebandiers qui ont failli mourir après s’être appliqué, sur toute la surface du corps et sur la peau nue, des feuilles de tabac qu’ils voulaient faire passer en fraude. Ferdinand Martin a communiqué à la Société de chirurgie l’observation d’une dame atteinte de lombago et qui avait eu l’idée d’appliquer sur la région douloureuse des flanelles trempées dans une décoction de 30 grammes de tabac à fumer. Ses douleurs furent promptement calmées ; mais elle éprouva, tôt après, tous les phénomènes de l’intoxication nicotinique, et ne se rétablit qu’au bout de trois jours.

Les empoisonnemens par le tabac résultent presque toujours, comme on le voit, d’accidens ou de méprises. Le crime n’y a jamais recours, sans doute parce que ses propriétés toxiques sont trop infidèles. Les assassins préfèrent la nicotine. Elle n’a pas encore un casier judiciaire bien chargé ; mais on se souvient de l’émotion causée par l’affaire Bocarmé, ce Belge qui tua son beau-frère en lui ingurgitant de la nicotine. Les effets de cet alcaloïde sont beaucoup plus prompts et plus terribles que ceux du tabac. Par quelque voie qu’on l’administre dans les expériences, l’animal est foudroyé. Deux gouttes suffisent pour tuer un chien de forte