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moins volatiles se condensent pendant la combustion et produisent un liquide empyreumatique brunâtre, une sorte de goudron de tabac, dont une partie suinte à travers les pipes poreuses et dont la totalité est retenue par l’eau des narghilés.

Parmi les principes volatils qui passent dans la fumée, en même temps que la nicotine, il faut citer l’acide cyanhydrique et surtout l’oxyde de carbone qui se dégage pendant cette combustion lente. Le docteur Gréhant a constaté qu’on en absorbait une quantité notable, lorsqu’on fumait avec activité, en avalant la fumée, et que le gaz passait dans le torrent circulatoire. Ces faits ont une certaine importance, au point de vue des conséquences pratiques. Ils font comprendre les accidens qu’on éprouve souvent après avoir passé de longues heures, dans un milieu saturé de tabac, même alors qu’on ne fumait pas, et les phénomènes d’intoxication qui sont produits parfois par l’ingestion de viandes ayant séjourné longtemps dans une atmosphère semblable.

Le tabac est un poison, comme la plupart des solanées, comme une foule de plantes que la médecine utilise tous les jours. Ses propriétés ont été étudiées de nos jours, avec toute la rigueur que permet la méthode expérimentale, contrôlée par l’observation clinique. Il m’est impossible de reproduire ici, même en la résumant, cette intéressante étude ; mais je vais m’efforcer d’en exposer clairement les principaux résultats.

La décoction de tabac fait périr les animaux en un temps d’autant plus court que la dose administrée est plus forte. Les phénomènes qui précèdent la mort se rapprochent de ceux que produisent les autres alcaloïdes toxiques ; ils sont identiques à ceux qui se manifestent chez l’homme dans les mêmes conditions et que les médecins n’ont que trop souvent l’occasion d’observer. Tantôt ce sont des forçats ou des matelots qui ont avalé leur chique ; tantôt ce sont des fumeurs qui ont fait le pari stupide de boire un ou deux petits verres du jus empyreumatique qui découle des vieilles pipes, de ce goudron de tabac, dont nous venons de parler. Souvent aussi ce sont des erreurs : du tabac en poudre pris pour du café, des feuilles de tabac mêlées par mégarde à des feuilles d’oranger. Les empoisonnemens dus à la malveillance sont beaucoup plus rares ; cependant, le poète Santeuil est mort, au dire de Mérat, dans des souffrances atroces, pour avoir bu un verre de vin dans lequel on avait mis du tabac d’Espagne.

Il est rare pourtant que le tabac cause un empoisonnement mortel quand on le prend par la bouche, parce qu’il est presque toujours rejeté par les vomissemens, avant d’avoir pu produire tous ses effets. Il n’en est pas de même lorsqu’il est administré par la voie intestinale. Le plus souvent alors l’intoxication est le