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soutenue avec tant d’héroïsme par la Grèce moderne, nous a récemment montré combien la distinction est difficile.

Entre Navarin et Stampalie, vous ne trouverez que quelques jours d’intervalle. Le 20 octobre 1827, Rigny, Codrington, Heïden, brûlaient la flotte ottomane au nom du salut de la Grèce ; le 5 novembre, Bisson se faisait sauter, pour ne pas tomber aux mains des brigands affranchis par nos soins de la crainte des Turcs. Ce n’étaient pas là, dira-t-on, « les compagnons de Miaulis et de Canaris. » En êtes-vous bien sûrs ? S’il n’y avait jamais eu de pirates en Grèce, les capitans pachas auraient pu dormir tranquilles : sans les gueux de mer et sans leurs frêles bateaux, Philippe II eût probablement réalisé son beau rêve de la cité de Dieu et de la monarchie universelle.

L’engin de destruction, ramassé sous un petit volume, n’est vraiment à sa place qu’aux mains de désespérés. Si vous l’assujettissez au calcul, au soin de la sûreté personnelle, il trompera, la plupart du temps, votre espoir. Qu’il s’appelle brûlot ou torpille, c’est toujours un instrument de guerre à outrance. Confiez-le à un fanatique, — patriote ou sectaire, — vous le verrez rarement manquer son coup. Canaris communiait le matin : avant midi, il avait incendié un vaisseau. De ces vaisseaux turcs, beaucoup ont été assaillis pendant la guerre de 1821 à 1830 ; combien, si l’on en excepte ceux qu’aborda Canaris, ont succombé[1] ?.. « Mettez mes hommages aux pieds de ce héros, » écrivais-je, il y a seize ans, à M. Palaska. Ma lettre arrivait au Pirée, au moment où l’immortel marin venait de rendre l’âme. Je le regrette encore.


III.

Le seigneur de Lumbres est à peine installé à son poste que les ordonnances destinées à fonder sur la flotte un ordre régulier se succèdent. Lumbres est nommé amiral ; tous les chefs d’escadre doivent lui obéir. L’honneur, le service et la gloire de Dieu y sont intéressés ; la liberté, la vie de tant de chrétiens opprimés en dépendent. « Je veux voir, écrivait le prince d’Orange, la pure parole de Dieu s’implanter et fleurir, grâce à l’assistance de nos marins, dans ce malheureux pays. C’est dans cet espoir que j’ai équipé des vaisseaux. Les dissensions et les divisions des partis ont amené le désordre, jeté la flotte dans la plus déplorable confusion. Il est temps de travailler à la cause commune. C’est la cause de Dieu, c’est celle de vos proches, c’est la vôtre. Les fidèles et les

  1. Voyez sur le rôle des brûlots, dans la guerre de l’indépendance grecque, la Station du Levant, t. Ier, p. 127, 128, 145, 146, 147, 153, 201, 202, 203, 217, 223, 224, 257, 274, 279, 280, 283, 284, 285, 287, 299, 307, 310, 325, 326, 327.