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Ier entrevit le remède en 1812 ; d’accord avec les États-Unis, il ne craignit pas de le proposer[1]. Je n’en connais point d’autre que celui qu’il indiqua. Le cannibalisme nous guette, hâtons-nous, croyez-moi, de conjurer le fléau et, sans perdre une minute, déclarons dans un congrès solennel « la neutralisation sur mer de la propriété privée. »

Pas de grâce ! Tel était le mot d’ordre des hostilités dont l’année 1568 donna le signal. Les rencontres sur terre et sur mer devenaient plus impitoyables de jour en jour ; les cœurs encore accessibles à la compassion peu à peu s’endurcissaient. Les égards que l’antique chevalerie ne refusait pas au courage malheureux, la clémence vers laquelle certains esprits inclinaient au début, passaient maintenant d’un aveu à peu près unanime pour des faiblesses. Au mois de mai 1570, les gueux de mer entrèrent de vive force à Hindeloopen, petite ville de la Frise située près de Workum. Le butin fut considérable ; les sanctuaires des églises en fournirent la majeure partie. La rage dévastatrice des gueux prenait surtout plaisir à s’exercer aux dépens du clergé. Quelques jours plus tard, le maire de Dongeradeel était, près de Holwert[2], enlevé de nuit dans son lit. La terreur devenait générale. Aucun noble, aucun habitant de la Frise, se sentant soupçonné d’être partisan de l’Espagne, n’osait plus séjourner hors des villes.

Outre ces incursions venues de la mer, il fallait encore craindre les attaques des troupes de brigands affiliés aux pirates. Les gueux des bois écumaient la campagne, pendant que les gueux de mer écumaient l’océan germanique et les fleuves. A la tête des audacieux malfaiteurs, figurait le jeune noble frison dont nous reproduisions, au début de cette étude, les prédictions sinistres[3]. Comblé par la nature de ses dons les plus séduisans, Hartman Gauma n’était pas ne pour piller des villages et pour dévaliser des couvens. Le malheur des temps l’avait chassé de sa patrie ; il séjournait d’ordinaire à Emden. Ses complices sur l’autre rive de l’Ems étaient nombreux. Il apparaissait subitement et disparaissait de même. En vain Robles mettait-il chaque jour, avec un redoublement de promesses, sa tête à prix. Personne en Frise ne se sentait le courage ou la volonté de le trahir. Ni tortures, ni potences, ni bûchers, n’arrachaient aux suspects qu’on parvenait à saisir le secret des retraites successives où Gauma trouvait à se réfugier. Brûlait-on un de ces asiles, la maison de Sixte Janszoon, par exemple, dans le

  1. Voyez la préface des Corsaires barbaresques.
  2. En face d’Ameland.
  3. Voyez, dans la Revue du 1er décembre 1891, le Dernier asile de la liberté.