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dédain que rencontraient les instructions réitérées du prince. Orange s’était cru en droit d’interdire rigoureusement aux gueux de mer a de rien entreprendre contre les villes, les places fortifiées, les vaisseaux des habitans de l’Allemagne, de l’Angleterre, du Danemark, de la Suède, de la France, de tous les pays en un mot qui avaient cru à la parole de Dieu. » Quant aux autres puissances, — Espagne, Écosse, Italie, Portugal, — Orange ne s’en occupait pas. S’il y a eu des croisades contre les musulmans, on voit qu’il n’en a pas manqué non plus contre les catholiques. Le catholicisme s’est trouvé dans les Pays-Bas en état de légitime défense. Je suis loin d’excuser la férocité avec laquelle il s’est défendu, je tiens seulement à constater qu’il n’a pas été attaqué avec des gants de velours. Lui aussi, on l’a mis hors la loi, non pas seulement parce qu’il persécutait, mais parce qu’il « ne croyait pas à la parole de Dieu. » Toutes les sectes ont du fanatisme, de la superstition et d’odieuses violences à leur charge. Je préfère cependant la pire de ces communions chrétiennes au matérialisme.

Pour prendre son parti de l’infraction de ses ordres et du discrédit où les excès des gueux pouvaient jeter la cause dont il se déclarait le chef, Orange aurait eu besoin que son délégué lui rapportât au moins quelque fruit des scandaleuses captures qu’une indulgence poussée jusqu’à la faiblesse tolérait. Basius n’eut, au contraire, à transmettre à son prince qu’une réclamation du seigneur de Dolhain. Ce brave gentilhomme du Hainaut, loin de se reconnaître débiteur de Guillaume, se posait en créancier. Il revendiquait avec énergie le remboursement de cinq mille écus « avancés par lui, » disait-il, « pour l’entretien de la flotte. » Il se démettait d’ailleurs de son commandement, et le laissait, jusqu’à décision contraire du prince, aux mains de son frère Louis de Berghes. Malade, il allait partir pour Cologne. Quand il aurait rétabli sa santé, ce ne serait pas à bord de son vaisseau qu’il reviendrait : il irait chercher en Angleterre « un repos qu’il croyait avoir bien gagné. »

Comprend-on bien maintenant toutes les difficultés de la tâche assumée par Orange ? Ce taciturne n’est pas mon héros. Toutes mes sympathies vont à celui qu’après Albe et Requesens Philippe II enverra le combattre, à celui qu’un savant professeur de Louvain appelait, il y a quelques mois, « un héros belge[1], » et que j’appellerai, moi, le dernier des chevaliers chrétiens : elles vont

  1. Un Héros belge. — Don Juan d’Autriche, par Émile Van Arenbergh, Bruges 1889.