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engagemens réciproques ? On mène grand bruit, aujourd’hui, dans nos chambres françaises, de ce qu’on appelle la liberté de nos tarifs de douanes ; il est une liberté autrement précieuse à un peuple qui prétend demeurer maître chez lui, c’est la liberté du travail national. L’aliéner, par traité, ne serait rien moins qu’abdiquer son indépendance économique, et peut-être, du même coup, son indépendance politique. — Qui ne voit que, avec une réglementation internationale, les dangers de l’intervention de l’État seraient grossis des dangers de l’intervention étrangère ? Aux inconvéniens de l’ingérence administrative viendraient se superposer les périls de l’immixtion des chancelleries diplomatiques derrière lesquelles, dans notre Europe en armes, on croit toujours entendre le fracas des bataillons en marche. Se figure-t-on le général de Caprivi ou le marquis di Rudini adressant des notes au quai d’Orsay sur l’exécution des règlemens internationaux touchant la durée de la journée de travail ? Ne nous leurrons point de songes, à tout le moins prématurés : de pareilles conventions seraient encore plus malaisées à formuler et ne seraient guère moins périlleuses à appliquer qu’un traité de désarmement général, signé à Paris ou à Berlin.

Mais, pour qu’ils marchent simultanément dans la voie du progrès Social, est-il bien nécessaire que les divers États soient liés par des conventions ? Non, grâce à Dieu. Il suffit qu’ils soient animés d’un même esprit et qu’ils obéissent à une inspiration commune. Ne le voyons-nous pas, déjà, pour ce qu’il y a de vraiment pratique dans cette législation sociale, par les lois édictées, presque partout, en même temps, pour la protection des nouveau-nés, pour la protection des enfans ou des adolescens, pour la protection des jeunes filles, des femmes mêmes ? Et cette commune inspiration d’humaine solidarité, d’où peut-elle mieux nous venir que de l’Évangile et du christianisme, qui, aujourd’hui encore, reste, quoi qu’on en dise, le lien de notre civilisation occidentale, le lien béni grâce auquel néo-Latins, Germains, Slaves, Anglo-Saxons, nous demeurons tous unis en un faisceau vivant, en dépit de nos vieilles querelles et de nos mesquines jalousies nationales ? Telle est, si nous savons lire, la pensée du pape. Et c’est bien là, en effet, l’office de la religion et le rôle d’un pouvoir spirituel : souffler aux nations diverses un même sentiment, imprimer aux peuples une direction commune, en rapprochant les esprits et en unifiant les âmes. Qu’ils soient un dans le Christ ! Unum sint ! répète l’Église en ses prières. Voilà qui rentre assurément dans la mission du christianisme. Seule, — avec la science peut-être, mais avec une autre prise sur les sociétés, — la religion peut, sans inquiétude ni menace pour personne, faire de « l’internationalisme » à la fois efficace et pacifique. Que les gouvernemens et les peuples se pénètrent des