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réclamait, le secours et l’appui de l’État. » On voit avec quelle réserve et avec quelles restrictions le pape accepte l’immixtion de l’Etat. A l’inverse de la foule des « interventionnistes, » il ne s’y résigne qu’à son corps défendant. Léon XIII, en réalité, aboutit, en toutes choses, à déconseiller l’intervention de l’État ; — Là où il l’admet, c’est toujours, encore une fois, comme un pis-aller[1].


V.

Quand on a une vue aussi nette des obstacles opposés à la réglementation du travail a par la variété des temps et des lieux, » on doit avoir peu de foi dans une législation internationale. Cela est bon pour ceux qui préconisent la journée maxima et le salaire minimum. Aussi, dans la grande encyclique de Léon XIII, n’est-il nulle part question de lois internationales. Et qui, cependant, plus que le pape, avait qualité pour recommander une pareille législation ? La papauté n’est-elle pas elle-même un pouvoir international ou supranational ? Et ses encycliques, comme l’indique leur nom, ne s’adressent-elles pas également aux peuples des cinq parties du monde ? Par ses origines, comme par sa fonction, le siège romain, le vrai siège œcuménique est, de toutes les autorités du globe, la mieux placée pour provoquer une entente internationale. Qu’étaient donc les conciles, s’ils n’étaient des congrès internationaux ? Et papes et conciles ne se sont-ils pas maintes fois efforcés de réunir les princes et les peuples chrétiens pour une action commune ? Si l’Europe les eût écoutés, il y a longtemps qu’elle eût pu dire : il n’y a plus d’Alpes et plus de Pyrénées. L’Église a été le grand agent d’unification du monde moderne. La papauté a travaillé des siècles à faire de « la chrétienté » un corps vivant, n’ayant qu’une âme et une conscience, et obéissant librement à des lois communes. A cet égard encore, quand notre siècle montre quelque velléité de sortir de l’exclusivisme national pour essayer d’une entente entre les diverses nations ; quand, oubliant un instant leurs trop justes défiances et leurs rancunes légitimes,

  1. Sur ce point, pour être juste envers eux, il ne faut pas oublier que la plupart des réformateurs catholiques se sont toujours défendus, eux aussi, de vouloir faire régler les salaires par l’État : « A aucun moment, écrivait M. de Mun, quelques mois avant la publication de l’encyclique De conditione opificum, je n’ai pensé, ni admis qu’un salaire minimum pût être déterminé et fixé directement par une loi de l’État. Si la solution de ce redoutable problème peut se rencontrer, ce n’est, à mon sentiment, que dans l’accord formé, au sein de la profession, par un conseil d’arbitrage représentant les parties intéressées ou, mieux encore, par la corporation régulièrement organisée.» (L’Association catholique du 15 juin 1871.) Le cardinal Manning, expliquant un passage de sa lettre au congrès de Liège, s’est, lui aussi, arrêté à des vues analogues.