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c’est par la loi. Une législation sociale, les catholiques se font gloire d’avoir été les premiers à en réclamer une de la république française. C’est à bon droit ; l’initiative, chez nous, en revient à M. de Mun. On sait sur quels points doit porter cette législation. Des hommes, partis de bords opposés, ont cru que, pour enlever aux travailleurs tout grief légitime, il suffisait de quelques lois sur le travail. C’est ainsi qu’ils poussent l’État à fixer la durée maxima de la journée de travail, et pour que l’ouvrier ne soit pas victime de la réforme, ils engagent, en même temps, l’État à fixer un minimum de salaire. Ce sont là les deux mesures essentielles, mais elles ne sont pas les seules. On demande, en outre, à l’État d’assurer à l’ouvrier un jour de repos par semaine, ce qui, en mainte contrée, existe déjà ; et, chose moins aisée, on invite les gouvernemens à garantir la vie ou la subsistance des travailleurs contre les chômages, contre les accidens, contre les maladies, contre la vieillesse. Ce n’est pas tout ; comme les peuples qui adopteraient de pareilles lois se mettraient, vis-à-vis des autres, dans une situation d’infériorité manifeste, ne pouvant plus soutenir, à armes égales, les rudes batailles de la concurrence industrielle, on somme les divers gouvernemens de s’entendre pour une législation internationale, de façon que, les mêmes lois sociales étant appliquées partout, simultanément, la réforme ne puisse appauvrir un État au profit des autres.

Ces revendications, bruyamment formulées dans de nombreux congrès, le pape ne les ignore point, et il ne les évite pas. Il examine les questions, il pose des principes, mais, d’ordinaire, il ne précise point les mesures à prendre. Il n’a garde de recommander aux catholiques « les trois huit » du programme ouvrier. Je ne vois qu’un point sur lequel le pape donne une formule d’application nette ; c’est le repos hebdomadaire. Et cela lui est facile, la journée de repos par semaine est d’invention chrétienne, d’invention hébraïque, ou mieux, elle est de précepte divin. Ce n’est pas une innovation du monde moderne, mais bien un retour à la tradition. C’est là le premier article du vieux code social promulgué, du haut du Sinaï, pour toutes les nations. Sur ce chapitre, l’Église n’a jamais varié, elle a toujours eu sa solution, et le tort des États modernes a été de s’en écarter. Le repos du dimanche, naguère si mal compris des foules, a été un des grands bienfaits que l’Église, sortie d’Israël, ait apportés au monde. Le sabbat était une des plus hautes conceptions de la loi ancienne, d’où il est passé à la nouvelle. Le sabbat a été pour l’humanité, pour l’esclave, pour le serf, pour l’ouvrier, un instrument d’émancipation. Selon le mot d’un israélite américain, il a été le premier « abolitioniste[1]

  1. D’Kohler, Menorah, New-York, septembre 1891.