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arbitraires, tyranniques, ses façons présomptueuses et coûteuses. L’Église elle-même, vos évêques, vos prêtres, vos mornes, vos inoffensives religieuses, vous-même, très saint père, eu avez pu apprendre quelque chose. Vous savez ce qu’il a trop souvent fait de vos écoles, de vos confréries, de vos couvens, de vos noviciats. — Votre docteur préféré, saint Thomas, disait de l’État qu’il était le serviteur de Dieu pour le bien, minister Dei in bonum ; est-ce bien de Dieu que l’État contemporain se fait toujours le ministre ? Vos vénérables prédécesseurs, et vous-même, parfois, très saint-père, vous avez reproché, sévèrement, aux hommes qui osent se dire libéraux, à ceux qui, en politique comme en religion, défendent la liberté, de réclamer la liberté du Mal avec celle du Bien, et de reconnaître à l’Erreur les mêmes droits qu’à la Vérité. Le reproche était-il toujours fondé ? Peu importe ici ; mais, prenez-y garde, l’État moderne, très saint-père, l’État athée, l’État franc-maçon, comme se plaisent à dire nombre de vos fils, l’État nouveau, issu de la démocratie, nous l’avons vu, déjà, plus d’une fois, ne laisser de liberté qu’à ce que vous appelez le Mal, et ne reconnaître de droits qu’à ce que vous nommez l’Erreur. L’oublier nous semblerait, de la part de l’Église, plus que de la mansuétude chrétienne ; mais vous savez mieux que nous, très saint-père, ce qui convient à l’église. Méconnaissant son incompétence doctrinale, l’État démocratique se laisse volontiers aller à dogmatiser, et il ne prend pas conseil du sacerdoce établi d’en haut. Il se fait, à l’occasion, son credo et son catéchisme qu’il enseigne au peuple par des catéchistes à lui ; il tend à s’arroger le droit qu’il dénie à votre Église, le droit de fondre les esprits dans un moule et de façonner les générations à sa guise. — Mais, encore une fois, laissons cela, ne considérons que la paix sociale ; lors même qu’il ne pèche ni par présomption doctrinale, ni par intolérance antireligieuse, ni par usurpation sur la famille, cet État moderne nous paraît matériellement, et surtout moralement, incapable d’assumer la haute mission que certains de vos fils semblent revendiquer pour lui. Il ne s’inspire ni de la foi chrétienne, ni de la loi de Dieu, ni de la justice idéale que vous lui prescrivez comme guides ; il ne s’inspire, le plus souvent, que de l’esprit de parti et des passions du moment. Sa loi, sa règle, n’est pas la justice, mais l’intérêt électoral. Loin d’être, comme vous l’y conviez, une autorité impartialement sereine, élevée au-dessus de toutes les classes et pourvoyant équitablement aux intérêts de tous, l’État que nous connaissons, celui que nous voyons à l’œuvre, chez nous, en France, celui que Votre Sainteté peut juger en Italie, est essentiellement partial ; issu du gouvernement