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XLVIII.

La convalescence de Julien marchait à grands pas, stimulée pour la forme par le docteur Bosredon qui, en se montrant de temps à autre, savait entretenir sa clientèle.

Il n’ordonnait, du reste, que des drogues insignifiantes à noms barbares, la robuste constitution du jeune homme se suffisant à elle-même pour réparer les forces perdues.

C’était le retour au pays qui avait opéré ce miracle, la joie de l’existence champêtre et des affections de famille retrouvées, car on le traitait bien mieux qu’avant son départ maintenant.

Tout le monde, depuis le Terrible jusqu’à Thérèse, lui montrait une infinité d’égards, et il sentait que ce n’était pas seulement au malade, au blessé, que s’adressait cette unanimité d’attentions et de soins, mais aussi à l’ami, au parent que les Dupourquet jugeaient dignes d’eux cette fois après cette consécration d’exil et de gloire.

Il comprenait qu’il avait fait dans leur cœur à tous un pas immense, qu’ils ne se souvenaient du paysanneau de jadis que pour mieux admirer le sous-officier d’aujourd’hui, à la tête énergique et fière, à la martiale désinvolture, qui était allé jouer sa vie à des milliers de lieues de la France, et qu’ils frémissaient d’orgueil à lui entendre raconter ses campagnes comme si quelque chose des dangers, des batailles, des victoires dont il parlait, en eût rayonné jusqu’à eux, éclairé d’un reflet d’héroïsme la platitude de leur destinée.

— Maintenant que l’hiver approchait et que les soirées étaient longues, c’était à la veillée, au coin du feu, qu’il entamait ses récits, et les domestiques avaient la permission de se joindre aux maîtres pour écouter, pour former en leur société le cercle autour de l’âtre où brûlaient, cognés l’un contre l’autre, des troncs entiers d’ormeaux et de chênes.

Il avait tout dit plusieurs fois, depuis son embarquement pour Tunis au début, jusqu’à son départ d’Hanoï lorsqu’il rentrait en France ; mais, naïfs comme les enfans qui redemandent toujours les mêmes histoires merveilleuses, les terriens insistaient auprès de lui, avaient en quelque sorte catalogué dans leur tête les épisodes d’après leur intensité dramatique, et parfois lui disaient :

— Contez-nous à présent celle du capitaine Philippe, vous savez bien, quand il a été pris prisonnier par les Cinois.

Et comme on restait rarement inactif au Vignal, même le soir,