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l’événement avait attirés, la regardaient, groupés à l’écart, tête nue, avec une sympathie respectueuse et une admirative pitié. Pauvre femme ! quel courage !

Et ces exclamations, qui semblaient des sanglots énervans de pleureuses, firent plus sur elle que l’annonce du malheur, que la vue même du cadavre dont la face blême trouée de noir ballottait entre les bras de Gustou. Elle s’affaissa avec une plainte longue, et on l’emporta dans sa chambre, en proie à une violente attaque de nerfs.

Seuls, le baron et la baronne d’Escoublac éprouvèrent une douleur profonde, sincère, abîmés tous deux au chevet du mort, baisant ses mains froides. Ils pleuraient leur chair et leur sang, eux, dans cette nature d’homme jeune fauchée en sa fleur, et comme au fond de tout sentiment se dresse l’égoïsme, ils pleuraient aussi sur leur vieillesse sans soutien, sur leur pauvreté sans secours, maintenant que rien ni personne ne les rattachait plus aux Dupourquet.

Les obsèques furent particulièrement soignées. On avait envoyé des exprès aux quatre coins du canton, les uns chargés de lettres, les autres de commissions verbales, et ils entraient dans toutes les maisons, avec des mines de circonstance, ne se déridaient qu’après coup lorsqu’on leur offrait à boire, par convenance d’abord, et aussi pour leur entendre raconter comment les choses s’étaient passées.

Et ils finissaient par être gris, abominablement, inventaient au cours de leur récit des péripéties étranges, riaient et pleuraient tour à tour comme un ciel de mars sous les giboulées.

L’abbé Roussillhes se prodigua. Toutes les bannières sortirent de l’église, entourés de jeunes filles gantées de filoselle blanche, et quatre draps, dont l’un porté par les pénitens, l’autre par les fabriciens, le troisième par les domestiques du défunt, et le dernier par les conseillers municipaux, étalaient leurs noirs carrés criblés de larmes tout le long du cortège.

Au cimetière l’adjoint parla, et sous l’enflure de ses périodes exaltant une vie creuse, les mendians qui, après la cérémonie, allaient se présenter à l’aumône, poussaient des jappemens aigus comme des chiens agacés par une musique ronflante ; puis, de retour au Vignal, la famille et les amis entourèrent une table copieusement servie, où chacun, après cette tristesse qu’on venait de traverser, s’installait avec soulagement, retrouvait comme un semblant de gaîté devant l’engageante disposition du couvert et la bonne senteur des plats.

Lacousthène, placé à la gauche de M. d’Escoublac, déclara à mi-voix, d’un ton bienveillant :