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et comme malgré leurs fringales, ils ne mangeaient à peu près que le tiers de leur chasse, Francine, dans la journée du lendemain, allait débiter le reste aux revendeurs de Frayssinet ou de Cassagnes.

Il s’était entièrement apprivoisé, la Mort, parlait à George avec une certaine déférence, bien qu’il ne l’appelât pas Monsieur et ne prononçât jamais son nom. Mais il était devenu plus bavard, et comme expansif à ses heures, avait parfois sur ses lèvres minces un fugitif sourire de bonne humeur.

Francine, de son côté, encouragée par son exemple, se faisait chaque jour plus avenante et familière, caquetait avec les chasseurs sans que son mari y trouvât à redire, et la renvoyât d’un coup d’œil à sa marmite, comme il faisait les premiers jours, quand elle jetait dans la conversation quelques notes de sa voix claire.

Elle faisait à peine attention à Gustou, plaisantait de préférence avec son homme et avec George, comme pour avoir le droit d’être avec ce dernier plus libre et plus coquette.

Elle le trouvait beau, s’extasiait, en elle-même, sur la blancheur de ses mains, le retroussis de ses moustaches blondes, et cet air de distinction et de force qui était en lui ; admirait les broderies armoriées de ses mouchoirs, sa chaîne de montre en gourmette, aspirait à pleines narines la délicate senteur d’Impérial russe qui s’exhalait de toute sa personne.

Et lui, George, comme on satisfait aux caprices d’une enfant, lui donnait un tas de choses sur la valeur desquelles elle s’illusionnait dans son ignorance de paysanne ; un foulard de soie bleue, des boutons de manchettes en doublé, dont elle ferait des épingles pour sa coiffure, un peigne en celluloïd simulant l’écaille blonde, la petite glace à cadre de peluche de son nécessaire de toilette.

Il l’attirait à lui de cette façon, éprouvait une sorte de plaisir à la voir s’avancer chaque jour davantage, fascinée, éblouie comme une alouette aux scintillemens du miroir d’acier ; et quand elle était tout près, penchée vers lui, sa jolie tête allumée de convoitise, il la regardait fixement dans les yeux… Et tous deux, comme au premier Soir où ils s’étaient vus, se prenaient à sourire, comme s’ils échangeaient quelque pensée intime, la mutuelle confidence de leur sympathie ou de leurs désirs.

Ils passaient ainsi leur temps par les jours mauvais, quand la pluie les bloquait dans la masure, tandis que Gustou nettoyait les fusils, et que Bertal façonnait des appeaux pour l’époque où les perdrix s’accouplent. Et ce dernier ne s’occupait pas d’eux le moins du monde, s’absorbait en sifflotant dans son travail, ne s’arrêtait que pour essayer ses instrumens de temps à autre, leur arracher