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— Un jour, près de cet oustalet que vous voyez là-bas, j’ai fait coup double sur deux lièvres ; je revenais du prier-Dieu d’un oncle à Frayssinet, et j’avais fait suivre le fusil, comme de juste.

L’anecdote se déroulait lentement, complaisamment, avec toutes les expressions mimées de la quêté et de la surprise ; les frrrt discrets dans les taillis, l’arrêt instinctif devant le gîte, et le pan ! pan ! des détonations successives.

George écoutait, souriant et joyeux, impatient déjà, sautant d’une idée à l’autre. Il interrompit Gustou brusquement :

— Ah ! sacredieu ! Mais j’y pense ; qui va nous faire la soupe, là-bas ?

Le piqueur, arrêté en pleine hécatombe, hésita une seconde, puis répliqua :

— Eh ! la femme, pardi ! la femme de Bertal, Francine de Massippou qu’on appelle, une crâne fille, monsieur George, la plus belle de toute la Castagnal, sans contredit : grande, brune, avec des yeux qui luisent comme des étoiles.

— Et ton la Mort, il est beau, lui ?

Gustou entama une seconde fanfare de rire.

— Ah ! pécaïre, non, pas tout à fait ! Il est comme moi, il n’entrera pas au ciel tout droit, sur sa bonne mine. Petit, maigre, sec, mais vit comme un furet, et fort à se défendre de quatre hommes. George, intéressé, demanda :

— Comment diable l’a-t-elle voulu, alors, cette jolie fille ? Elle ne devait pourtant pas manquer d’amoureux mieux tournés que ça.

Gustou répliqua avec une conviction sentencieuse :

— Elle l’a voulu, justement parce qu’il était fort, le plus fort de tous, comme les poules choisissent le vainqueur entre deux coqs qui se battent. N’en manquait pas en effet, des gars qui tournaient autour d’elle, et quand il y en avait un qui s’avançait plus hardi que les autres, la promenait le dimanche après vêpres comme une promise à qui l’on parle, la Mort le prenait à part celui-là le soir même, et sans se fâcher tout d’abord, lui exposait ses remontrances :

— Écoute, je te conseille de laisser la Francine tranquille, elle n’est pas pour toi.

Puis, si le galant avait l’oreille dure, essayait de regimber, il lui sautait à la gorge, le terrassait, le doublait sur ses genoux, comme une de ces branches d’orme dont on fait les fourches.

Elle ne voulait pas entendre parler de lui pourtant, le savait pauvre, le trouvait laid, un peu âgé pour elle, mais il ne se décourageait pas, le mâtin ! riait de ses colères et de ses mépris, se contentait de lui demander de temps à autre, quand il la trouvait en train de garder son troupeau au fond des gorges :