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Le piqueur ôta sa pipe de la bouche, envoya un jet de salive sur la banquette de la route, et, après avoir essuyé sa moustache d’un revers de main.

— Bertal, monsieur George, Bertal-Antoine de Saint-Caprais, un que nous avons fait notre service ensemble. On l’appelle aussi la Mort, parce que le gibier qui lui passe à portée est sûr de faire la culbute.

— Il habite le village ?

_ Oh ! non, reste dans une combe au fond des bois comme la sauvagine. Y a tant seulement un caminol[1] d’un pied de large pour arriver jusque chez lui.

— Alors nous serons obligés de remiser les chevaux à Saint-Caprais ?

Gustou, qui connaissait un peu tout le monde, répondit :

— Parfaitement que oui ! Nous les mettrons chez Désire du Pech-Grand, qui fait auberge, un que nous étions domestiques ensemble à Gaillardel.

— Y aura-t-il au moins de quoi nous loger, nous et les chiens, chez ton ami Bertal ?

Le niqueur eut un rire puissant comme une fanfare.

— Ah ! pour sûr que nous ne serons pas dans un salon de companie ! Y a que la cuisine, une chambre et l’étable, et la maison est couverte en tuiles du pays.

— Oui je sais, des pierres plates cimentées de boue. Tout cela m’est indifférent, pourvu que nous trouvions à brûler notre poudre.

Gustou cligna de l’œil et haussa une épaule :

— Oh ! pour ça, n’ayez crainte, assura-t-il, du gibier à ne savoir où se tourner. Y a qu’à voir le pays, du reste.

Ils étaient arrivés en haut de la côte de Loupiac ; et, aussi loin que la vue pouvait aller, jusqu’aux limites extrêmes de l’horizon, des bois débordaient de toute part, enserrant comme d’une infranchissable barrière la rougeaille des cultures, escaladant les collines qui prenaient des aspects sauvages de montagnes, se repliant épaissis au fond des gorges ; des bois de châtaigniers et de chênes aux feuilles vieil or, des massifs vert sombre de pins, avec à leurs pieds toute la gamme des teintes neutres dans l’épais tapis des bruyères, des mousses, des lichens, des fougères et des ronces.

Gustou, très en veine de causer, racontait maintenant des histoires de chasse, ces prouesses anciennes dont on s’encourage, et que l’on prend un singulier plaisir à revivre :

  1. Sentier.