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eurent de nouveau recours aux évictions. La land league, supprimée officiellement depuis plusieurs années, revivait sous le nom de national league. Elle exhorta les tenanciers à se défendre par la force. Évincés, elle les nourrit, paya les frais de justice. Enfin elle encouragea, et, dans certains cas, obligea les fermiers à refuser le paiement de la rente lorsque les propriétaires ne consentaient point aux réductions demandées. Les sommes étaient alors perçues par la ligue elle-même et servaient à alimenter la résistance. C’est ce qu’on nomme le Plan de Campagne. Cette action, toute révolutionnaire, justifiée, prétendait-on, par les violences administratives et la dureté des propriétaires, devait fatalement amener des représailles et une recrudescence d’arbitraire. Combien on était loin des beaux commencemens de la land league et de ces manifestes si calmes, si logiques, si éloquens ! Parnell n’était pas l’inventeur du Plan de Campagne, mais il ne désapprouva pas, et ce fut sa première faute.

Il n’était que trop aisé de le rendre solidaire des exagération de conduite et de langage de John Dillon ou de William O’Brien. On voulait chercher dans le passé des responsabilités encore plus lourdes et plus compromettantes. Au moment psychologique, le jour même où le bill de répression contre l’Irlande devait être voté en seconde lecture, paraissait dans le journal le Times une révélation qui devait foudroyer Parnell, le mettre au ban de l’opinion, en faisant de lui le complice des Invincibles. S’il était prouvé une bonne fois, par quelques lignes de son écriture même, qu’il avait mis le poignard aux mains des assassins, pourrait-on encore soutenir à Westminster la vue de cet homme ? Ces lignes dénonciatrices, irrécusables, certifiées véritables par un expert, le Times les possédait, il les publiait et, pour rendre le doute impossible, les accompagnait d’un fac-similé. Ce premier billet fut bientôt suivi de plusieurs autres. Les députés irlandais, l’un après l’autre, étaient mis en cause. Le Times, qui semblait avoir à sa discrétion un arsenal inépuisable, publiait chaque jour, sous ce titre expressif : Parnellism and Crime, un nouvel amas de documens qui s’ajoutaient aux précédens et redoublaient l’impression produite.

La vie de Parnell n’avait été qu’un long duel avec le peuple anglais, où il s’était toujours réservé le choix du terrain, de l’heure et des armes. Il ne releva point la provocation du Times. Pour l’obliger à un aveu ou à un démenti, un membre du parlement posa la question de violation de privilège contre le journal le Times. Quand il fallut rompre le silence, Parnell réclama une enquête parlementaire ; le gouvernement refusa d’y consentir. Après de longs débats, dont les péripéties n’auraient rien d’intéressant