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V.

La mort de lord Frederick Cavendish parut avoir fait plus pour la pacification de l’Irlande que les promesses de M. Gladstone ou les violences de M. Forster. Le parti du crime se cacha, n’osa plus bouger, étonné de l’horreur qu’il inspirait ; la presse anglaise montra de la générosité et du sang-froid. Mais cette paix apparente n’était que de l’abattement. Bientôt les récriminations acharnées recommencèrent, avec un échange de provocations et d’injures. Tombé du pouvoir, M. Forster poursuivait encore son ennemi, et cherchait à le convaincre de complicité avec les meurtriers de Phœnix-Park. « C’est un mensonge ! » criait M. Dillon, et il était expulsé du parlement. Parnell, lui, avait repris son accent amer, sa froide et dédaigneuse ironie : « Je n’ai, disait-il, aucun espoir, ni aucun désir de convaincre ceux qui m’écoutent, et je suis persuadé que mes paroles ne peuvent produire d’effet sur aucun Anglais. Il me suffit que ma conduite soit parfaitement claire pour mes compatriotes... Le très honorable gentleman m’a sommé de plaider ma cause : je n’ai pas de cause à plaider. » Puis, il faisait une comparaison entre Forster et ce misérable Carey qui, après avoir joué le principal rôle dans l’assassinat de lord Frederick, s’était fait le dénonciateur de ses compagnons, et qui excitait en ce moment l’exécration universelle. Des deux, Carey était celui qui méritait le plus d’indulgence, car il cherchait à sauver sa vie. Parnell concluait ainsi : « Par ce discours, M. Forster a bien mérité du gouvernement. Il est digne d’y rentrer. Qu’on le renvoie en Irlande pour aider lord Spencer à dresser des potences ! »

Ce langage haineux indique assez clairement que toute entente était devenue impossible. Le parlement Gladstone approchait de sa fin, et les espérances de ses adversaires s’étaient ranimées. Une sorte de rapprochement eut lieu entre les home-rulers et le parti conservateur. Dans la grande réforme qui allait appeler quinze cent mille nouveaux électeurs à la vie politique, on fut tenté un moment de refuser à l’Irlande quelques-uns des avantages accordés à l’Angleterre, au pays de Galles et à l’Ecosse. Ce fut lord Randolph Churchill qui disputa aux radicaux l’honneur de servir de champion aux droits des électeurs irlandais.

Un vote de coalition renversa M. Gladstone au mois de juin 1885. Pendant les mois qui s’écoulèrent entre l’entrée des tories au pouvoir et la dissolution du parlement, le nouveau vice-roi de l’Irlande, lord Carnarvon, fut censé étudier un plan de réformes qui devait donner satisfaction à M. Parnell et à ses amis. Lord Carnarvon