Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 109.djvu/290

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

six cents ans, comme des défauts. Rien que des idées justes, avec des documens à l’appui. « Lorsqu’il parlait des souffrances de l’Irlande, il ressemblait, nous dit un témoin, à un professeur qui fait une démonstration. » Pour expliquer son pouvoir, je suis tenté d’écrire que les Anglais le trouvaient plus Anglais qu’eux. Mais il y avait quelque chose de plus : un phénomène de magnétisme qu’il appartient peut-être aux physiologistes d’étudier. Ses noirs regards, d’ordinaire froids et morts, jetaient par instans des effluves ; de toute sa personne émanait une volonté. Parnell était un dompteur.

Je ne puis le montrer, chaque soir, entrant dans la cage et aveuglant les fauves de ses phrases cinglantes. Mais je prendrai une soirée caractéristique, celle du 25 juillet 1877. Il s’agissait d’un bill sur l’Afrique du Sud, triste loi qui préparait les échecs et les hontes des années suivantes : Isandula, Majuba-hill. Parnell parlait depuis longtemps au milieu des interruptions impertinentes, des conversations et des toux affectées. Ses paroles avaient déjà été relevées et censurées ; elles avaient fait l’objet d’une motion du chef de la majorité. C’était l’honnête et sympathique Stafford Northcote qui, comme tous les hommes très doux, se fâchait à tort, quand par hasard il se fâchait. Ce soir-là, énervé, à bout de patience, il guettait un faux pas, un mot violent de l’orateur. Cependant, Parnell continuait, impassible, rapprochant du sort de l’Irlande celui de l’Afrique du Sud où l’Angleterre s’est introduite par fraude pour y exploiter une autre race. « Je viens d’un pays qui a éprouvé dans toute son étendue les inconvéniens de l’ingérence anglaise dans ses affaires intérieures, les conséquences de la cruauté et de la tyrannie des Anglais. C’est pourquoi je ressens une satisfaction toute particulière à entraver, à de jouer les intentions du gouvernement qui présente cette loi ! »

Ces paroles ne sont ni inconstitutionnelles, ni antiparlementaires. Ce fut, sans doute, l’accent, le regard, l’attitude de l’orateur qui les rendit provocantes. Comme il arrive dans les expériences de suggestion où le magnétiseur ordonne au patient de trouver dans l’eau pure la saveur du vin, Parnell voulut que le parlement vît dans ces simples mots une insulte intolérable, qu’il se cabrât sous une blessure imaginaire. En effet, tous les députés se dressèrent, en criant. On était en comité ; on rappela en hâte le speaker. Le chef de la majorité, perdant la tête, proposa de suspendre pour trois jours M. Parnell de ses fonctions de député « pour avoir paralysé l’expédition des affaires publiques et bravé le parlement. » M. Parnell avait le droit de s’expliquer. Les bras croisés, toujours dédaigneux, il fit remarquer que sir Stafford Northcote violait le règlement en introduisant une motion alors qu’une autre était déjà