Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 109.djvu/284

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Le comité du home-rule hésitait à agréer ce jeune homme de vingt-huit ans qui n’avait ni passé, ni promesses, mais qui appartenait à la classe des landlords et qui portait un vieux nom respecté. Ce fut Arthur Sullivan qui le présenta au public dans une réunion tenue à la Rotonde. Le candidat prit la parole. Pâle, une sueur froide au front, il bégaya à demi-voix un certain nombre de phrases presque inintelligibles que couvrirent miséricordieusement quelques tristes bravos de complaisance. Ses amis échangèrent une grimace et un haussement d’épaules. Si celui-là entrait au parlement, ce ne serait que pour y voter en silence. Le pauvre garçon avait prononcé son premier et son dernier discours : Parnell single speech !

Le jour de l’élection arriva et Parnell fut battu à plates coutures. Néanmoins, il s’obstina et, l’année suivante (1875), une vacance s’étant produite dans le comté de Meath, il réussit à se faire élire.


II.

Lorsqu’un soir de la fin du printemps, Parnell vint prendre sa place à Westminster, pas une tête ne se retourna pour regarder cet inconnu qui allait se perdre dans les rangs de la députation irlandaise. Cette députation comptait plus de trente conservateurs inféodés à Disraeli. Sur soixante-sept home-rulers nominaux, la moitié n’était que des whigs déguisés. Les autres, les patriotes proprement dits, guettaient une place ou croyaient avoir fait assez pour l’Irlande en appuyant, d’un vote indolent et platonique, la proposition d’autonomie, présentée chaque année par leur parti et chaque année repoussée par le parlement. On donnerait une idée beaucoup trop favorable encore de la députation irlandaise en disant qu’elle était divisée en trois tronçons. En réalité, il y avait dans ces trois partis autant de groupes que d’individus. On disait communément qu’il n’y avait pas deux députés irlandais qui fussent en assez bonnes relations pour s’adresser la parole, et il y avait du vrai dans cette plaisanterie.

Le chef des home-rulers Isaac Butt, était un avocat et un ancien professeur d’économie politique. Conservateur d’origine, whig par circonstance, il vénérait Disraeli et imitait Gladstone, même quand il était obligé de les combattre. Habile orateur, bon tacticien, il tombait dans le faible des manœuvriers, qui est de croire les parlemens, comme les armées, faits pour la manœuvre, et le «bien