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prises par des corps délibérans et quand une presse curieuse est aux aguets pour surprendre le bruit de leurs débats. — « Je ne puis vous cacher, écrivait encore Newcastle à Cumberland, que le secret de cette déplorable affaire est déjà ébruité, et que la nature de la commission apportée par Bentink comme l’emprunt qu’il nous demande dans son mémoire sont des faits parfaitement connus et de telle manière qu’on ne peut douter que l’indiscrétion vienne de la Hollande. » — Le cabinet de George II non plus n’était pas un lieu sourd et les dissentimens de ses conseillers avaient leurs échos dans tous les couloirs parlementaires. Le résultat fut que l’envoyé autrichien ne tarda pas à être informé, ne fût-ce que par le bruit public, que le vent avait tourné dans les régions ministérielles, et qu’il n’en fallut pas davantage pour qu’il lit parvenir à sa souveraine le pressentiment d’une défection à laquelle elle ajouta d’autant plus aisément foi qu’elle l’avait toujours redoutée.

En effet, depuis la trahison un instant consommée du roi de Sardaigne (que, par prudence, elle avait feint d’ignorer, mais dont au fond de l’âme elle gardait mémoire et rancune), convaincue également et avec raison que l’Angleterre avait été confidente, sinon complice de cette perfidie, l’altière princesse vivait dans des soupçons continuels sur la bonne foi de ses alliés. Son imagination était hantée par la pensée que, soit avec l’Espagne, soit avec la France, on en viendrait à traiter encore une fois en dehors d’elle, et à disposer de ses intérêts sans la prévenir ni la consulter. On a vu avec quelle jalouse inquiétude elle avait surveillé la rencontre de Puisieulx et de Sandwich à Liège, et quelle hâte elle avait mise à envoyer au commandant de son armée de Flandre les pouvoirs nécessaires pour s’y faire admettre à tout prix et y prendre part, même sans y être convié. Depuis lors, elle n’avait pas appris avec moins d’ennui qu’un Irlandais catholique, officier supérieur au service d’Espagne, était venu à Londres et avait été reçu à plusieurs reprises par les ministres. A la vérité, on l’avait informée de cette tentative de négociation particulière qui, d’ailleurs, n’aboutissait pas, les prétentions de l’Espagne (qui n’allaient à rien moins qu’à se faire restituer Gibraltar) étant trop exagérées pour être sérieusement mises en délibération. Mais elle n’était nullement sûre qu’on lui eût tout dit et que les offres repoussées dans ces termes excessifs ne fussent pas mieux agréées si on arrivait à les réduire à des conditions plus acceptables. Bref, elle s’attendait à quelque surprise dont elle n’envisageait pas, sans effroi, les conséquences[1].

  1. La mission de l’officier irlandais Wall, à Madrid, dont il est question à plusieurs reprises dans les correspondances de cette époque, est une affaire aussi mystérieuse que compliquée dont je n’ai pu réussir, mais dont il n’y a pas grand intérêt à pénétrer le fond. Ce fut, en effet, l’objet d’une méfiance égale à Paris et à Vienne. La France, à qui l’Espagne avait fait connaître l’envoi de cet agent secret, ne se fiait pas complètement à la sincérité de cette confidence et soupçonnait que Wall pouvait avoir quelque instruction cachée dont on ne lui parlait pas. Marie-Thérèse, de son côté, bien qu’avertie du fait même de la mission, n’ajoutait que médiocrement foi au compte que le ministère anglais lui en rendait. Des deux parts, on soupçonnait quelque piège. (Voir Correspondance d’Espagne, passim, décembre 1747 et janvier 1748. — Ministère des affaires étrangères.)