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de ne se commettre ni directement ni indirectement, de frapper à coup sûr, de conserver l’amitié du roi et de s’en servir suivant les circonstances : celui de Sa Majesté est de conserver l’amitié du roi de Prusse, quoi qu’il arrive, de le maintenir au degré de puissance que la Prusse a acquise et de songer aussi à son intérêt et à sa couronne. Il n’y a rien dans tout cela qui ne soit très juste et compatible avec une parfaite et réciproque union. Je ne puis trop admirer la vérité avec laquelle le roi de Prusse s’est souvent expliqué par la bouche de M. de Chambrier. Un prince, qui n’aurait pas l’âme aussi grande, nous aurait amusés en cherchant à nous persuader qu’il travaillait sourdement dans l’empire à faire des associations en notre faveur et à arrêter la marche des Russes, et nous aurait peut-être empêchés par là d’avoir autant d’activité et de prendre des mesures aussi sérieuses que celles que nous prenons. »

Avec un caractère si bien fait et qui prenait les choses en si bonne part, il était inutile de feindre, et Frédéric pouvait en vérité écrire à Puisieulx lui-même : « Ne cherchez point de détours dans ma conduite, elle est aussi simple que mon cœur[1]. »

Ce qui était si bien connu à Versailles ne pouvait être longtemps ignoré à Londres et à La Haye. Une attitude hostile ou simplement malveillante de la Prusse aurait gravement compliqué, pour les puissances maritimes, l’exécution de l’engagement qu’elles avaient pris de faire arriver à bon port et sans encombre les troupes russes sur la Meuse et sur le Rhin. L’assurance opposée, au contraire, le parti hautement annoncé par Frédéric de laisser tout faire et tout passer, furent accueillis avec autant de satisfaction que de reconnaissance. Ce fut l’occasion pour le ministère anglais d’insister auprès du roi George, pour qu’il prît sur lui de dominer l’aversion que lui inspirait son redoutable neveu, et de lui tendre une main affectueuse et conciliante. Depuis le départ du dernier envoyé, lord Hyndfort (qui avait quitté Berlin dans les plus mauvais termes, et presque en rupture ouverte avec le roi), la légation anglaise dans cette capitale était restée vide, et les relations n’étaient entretenues que par un simple chargé d’affaires. Le moment parut favorable pour rétablir les rapports sur un pied plus amical, et Frédéric, secrètement consulté, fit savoir qu’il verrait avec plaisir un représentant de son oncle à sa cour, pourvu qu’on respectât sa neutralité, et qu’on ne lui demandât pas de se compromettre en aucun sens. George se laissa plus

  1. Puisieulx à Valori, 28 décembre 1747 et 12 janvier 1748. (Correspondance de Prusse. — Ministère des affaires étrangères,) — Frédéric à Puisieulx, 8 novembre 1747. — Pol Corr., t. V, p. 519.