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l’impopularité à son nom, car la mesure, bien que rendue souvent nécessaire par l’enchevêtrement des souverainetés diverses qui se croisaient sur le territoire de l’empire, avait toujours un caractère de violence et pouvait jeter le trouble dans les populations. Ce n’était pas à elle, souveraine allemande, à froisser ainsi le sentiment germanique. Il était plus naturel de passer ce rôle aux deux puissances maritimes, puisque, s’étant chargées de tous les frais de transport, c’étaient elles qui pouvaient garantir aux habitans des provinces traversées le paiement de toutes les avances à faire et la réparation de tous les torts que la présence de visiteurs en armes ne pouvait manquer de leur causer. La demande fut faite à chacune des parties intéressées : Saxe, Bavière, Wurtemberg, Palatinat, Électorat rhénan, laissant en dehors l’empire lui-même afin de ne pas donner occasion de soulever dans une diète, où la majorité pourrait être incertaine, une question des plus douteuses : à savoir si la facilité accordée à l’une des parties belligérantes, et dont l’autre aurait à souffrir, n’était pas une violation indirecte de la neutralité promise.

Malgré cette précaution, l’idée d’échapper à cette pression gênante en invoquant l’inviolabilité du territoire du saint-empire ne pouvait manquer de venir naturellement à l’esprit de faibles princes incapables de se défendre eux-mêmes : les agens ou les amis de la France, très nombreux encore, et répandus dans toutes les cours, ne se firent pas faute de la leur suggérer. Le dessein de former une ligue de neutralité sous le drapeau impérial, et de barrer ainsi le passage aux intrus incommodes qui le réclamaient, fut sérieusement agité à Stuttgart, à Manheim et même à Bonn, à Trêves et à Munich ; mais toutes les fois que cette pensée était mise en avant, tous les vœux comme tous les regards se tournaient du côté de Berlin. Un mot, un seul mot de Frédéric, et la diète, obligée de se réunir et se sentant appuyée par une force que personne ne pouvait braver impunément, aurait opposé aux instances de Marie-Thérèse sinon un refus positif, au moins des lenteurs désespérantes qui auraient rendu le consentement inutile. Mais ce mot, le vainqueur de Molwitz et de Kesseldorf était, — j’ai déjà dit par quel motif, — plus que jamais décidé à ne pas le laisser échapper de ses lèvres. Plus la crise devenait instante, et plus il affectait de la regarder avec indifférence. La présence de troupes russes à ses portes, cette menace dont il avait autrefois ou éprouvé ou feint tant de terreur, lui paraissait maintenant la chose la plus insignifiante. — « Vous ne devez pas vous inquiéter de la marche des Russes, écrivait-il à son ministre à Vienne, ces troupes étant à la solde des puissances maritimes, et principalement de l’Angleterre, ces mêmes puissances en disposent souverainement, de sorte qu’il