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quoi s’en tenir. Qu’en est-il réellement et que restera-t-il de cette année qui s’achève aujourd’hui ? Par quelles actions bienfaisantes, par quels retours heureux d’idées ou de fortune aura-t-elle été marquée ? Est-elle destinée à laisser quelque trace lumineuse dans l’histoire, à être tout au moins le commencement ou l’indice d’un meilleur avenir ? C’est une question douteuse. On pourrait peut-être dire qu’entre le bon et le mauvais génie de la France, la lutte reste engagée à travers les années qui passent.

A n’observer que les apparences, le courant de la vie publique, les mœurs parlementaires, il n’y a sans doute rien de changé, rien surtout de sensiblement amélioré. Cette année, comme celle qui l’a précédée, finit par des discussions précipitées de budget et des confusions, par cette fatalité périodique qui met le sénat dans l’alternative d’avouer son impuissance, de subir tout ce qui lui vient du Palais-Bourbon, ou de rouvrir l’ère des douzièmes provisoires. Par surcroît, cette année, à ces débats d’un budget remanié et bâclé est venue se joindre cette longue, laborieuse, brillante et périlleuse discussion du nouveau code des tarifs français. Le fait est que, dans ces derniers jours, tout est venu à la fois, tout s’est accumulé, et qu’à l’heure qu’il est, on en est réduit à savoir ce qui en sera du budget aussi bien que du régime commercial, comment le gouvernement réussira à négocier une transition nécessaire dans nos rapports avec les autres États. Plus que jamais, peut-être, cette fin de session se ressent de ce conflit perpétuel entre la chambre qui veut tout trancher, le sénat qui regimbe quelquefois, disputant un vote de résignation, et le gouvernement qui se débat avant d’avoir une opinion défmitive. Mœurs et travaux parlementaires restent visiblement à fixer et à régulariser, — comme si la France ne faisait pas, depuis trois quarts de siècle, son apprentissage de ce régime des libres et fortes discussions institué pour expédier utilement les affaires du pays et non pour tout confondre. Voilà au moins un premier point où l’on ne semble guère être en progrès. Le malheur est qu’il y a dans notre vie publique bien d’autres dissonances plus profondes, que cette année même qui s’achève est un tissu de contradictions, qu’elle a eu cela de caractéristique de voir se produire à la fois tout ce qui peut rendre à la France le sentiment de sa puissance et tout ce qui peut troubler ou ralentir son essor.

Expliquons-nous. Assurément, quelles que soient les incohérences et les contradictions de nos affaires parlementaires, il y a toujours un travail visible ou invisible qui s’accomplit, qui peut être momentanément détourné ou contrarié sans être réellement interrompu, La France ne cesse pas d’être la France, et cette année qui disparaît aujourd’hui en est la saisissante démonstration. En définitive, elle reste l’année où la nation Irançaise a repris sa position parmi les grandes puissances et