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REVUE LITTERAIRE

SUR LA « LITTERATURE. »

Nos lecteurs se rappelleront-ils qu’il n’y a guère plus d’un an nous plaidions ici même la cause de la rhétorique ? Ce sera dans quelque temps celle des idées générales, que je prévois qu’il nous faudra défendre, et montrer je ne sais dans quelle incapacité fâcheuse de les former l’une au moins des raisons de l’affaiblissement de la pensée contemporaine. Pour aujourd’hui, c’est la cause de la « littérature » même dont je voudrais dire quelques mots, et, sans prétendre épuiser le sujet le plus vaste, en toucher deux ou trois points seulement.

Ce n’est pas précisément que la « littérature » soit en danger de périr ; et la confrérie des « compagnons de la vie nouvelle,» — qui ne se compose encore, au surplus, que d’un apôtre et d’un disciple récalcitrant, — n’a pas réussi jusqu’à ce jour ni ne réussira, je l’espère, à faire croire aux jeunes gens que le mépris mystique de l’art serait le commencement de la sagesse ou le triomphe de la moralité. Nous avons assez de barbares parmi nous ! Mais, déjà, nous lisons, ici et là, que « la littérature diminue ce qu’elle semble parer ; » que « tout travail de style est en un sens une profanation de la pensée ; » que « les plus belles pages de la légende morale de l’humanité demeureront sans doute à jamais inédites ; » — et savez-vous ce que cela veut dire ? Cela veut dire que l’infécondité, qui passait jusqu’alors pour marque d’impuissance, l’est, au contraire, selon l’esthétique nouvelle, d’étendue, de portée, de vigueur d’esprit. Ce que nous appelons talent ou génie ne serait qu’un nom dont nous déguiserions l’incontinence des « polygraphes,» les Cicéron ou les Dante, les Voltaire ou les Hugo. Mais le grand artiste, ce serait le rêveur ! Le grand écrivain, ce serait celui