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lois du pays où tu es né. As-tu compris, et cela te paraît-il juste ?

— Par la Panaghia, ô étranger, ce que tu dis est vrai.

— Au lieu de faire cela, tu as gardé en ta possession, pendant plusieurs jours, un bien qui ne t’appartenait pas. Il ne m’est pas permis de te laisser, comme tu le veux, partager ces médailles avec les hommes qui les ont trouvées. Mais je ne puis, d’autre part, accepter un pareil dépôt, pour le remettre à l’éphore ; car ceux qui savent ce secret ne manqueraient pas de dire que nous nous sommes entendus l’un avec l’autre, et qu’en route quelques-unes de ces pièces d’or sont restées à nos doigts.

— Oui, tu parles conformément à la raison.

— Je pourrais te dénoncer et tu irais en prison ; mais je ne suis pas un astynome, et, d’ailleurs, les liens de l’amitié nous unissent. Seulement promets-moi que, demain, tu prieras l’éphore d’entrer dans ta maison, et qu’après avoir fait partir tes enfans et ta femme tu lui remettras ce que tu viens de me montrer. Je serai là et je verrai si tu tiens ta promesse. Tu vas compter devant moi les monnaies qui sont déjà sorties de la coquille, et tu laisseras les autres dans la couche de terre qui les enveloppe. Maintenant, rentrons ; car les entretiens tardifs, dans la nuit sombre, font naître sur les lèvres des hommes des propos malveillans.

J’allai me coucher là-dessus, un peu fatigué par ce dialogue platonicien, et réfléchissant à la bizarrerie de la destinée qui permettait qu’un simple pécheur de l’Occident pût donner des leçons de morale à un saint homme de l’Orient.

Le lendemain le pappas nous fit venir dans sa chambre, l’éphore et moi, sous le prétexte de nous offrir de l’eau bien fraîche ; puis, prenant subitement un air grave, il sortit son coquillage de son sac de cuir ; il se mit à expliquer devant l’éphore, qui ne parut pas trop surpris, qu’on avait fait cette découverte sur l’acropole d’Arcésiné, et expliqua ses retards par la crainte que lui avaient causée les menaces des ouvriers. Ainsi, tout s’arrangeait le mieux du monde ; j’évitais à ce pauvre homme les désagrémens que pouvait lui causer sa conscience hésitante, et les vitrines du musée d’Athènes entraient en possession du trésor, d’ailleurs peu considérable, qui leur était dû.

Tout joyeux, le pappas Prasinos étala sur la table les pièces qui étaient au fond du coquillage : nous les frottâmes pour les faire luire, et c’est ma brosse à dents qui servit à cette opération. Après les avoir examinées et admirées, l’éphore les compta : il y en avait soixante... Je me rappelai que, la veille au soir, le pappas m’avait montré huit monnaies, détachées du coquillage ; avec les soixante nouvelles que l’on venait d’extraire, cela devait faire, en honnête