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de la stérile montagne. Au mois de mars, lorsque de légères traînées de nuages blancs courent encore, en minces flocons de laine étirée, sur l’azur très fin du ciel, ce paysage est vermeil, heureux, d’une douceur tiède et printanière. La terre n’est pas encore brûlée par ces étés torrides qui font taire les oiseaux, accablent les moutons, lourdement pâmés dans des coins d’ombre, aveuglent les yeux des hommes et jaunissent, entre les pierres, les herbes séchées et mortes. La mer n’a pas cette splendeur dure des journées accablantes, ce bleu profond, sombre, dont l’éclat inerte ne reflète rien. Mais le calme miroir où se réfléchissent les rochers fauves est d’un bleu apaisé, lumineux et gai. Près de la rive, les cailloux mettent des reflets de bijoux dans la transparence limpide de l’eau rayonnante, parmi les moires vertes qui ont, de loin, des clartés d’émeraudes. D’imperceptibles rides plissent la grande nappe d’azur où des voiles lointaines font trembler des traînées de blancheur. Très loin, par-delà les îlots bordés d’une frange d’écume, sur la ligne extrême où se confondent le ciel et la mer, on distingue vaguement des silhouettes bleuâtres : Cos, Astypalæa, Anaphi, toute petite et pointue… On voudrait partir vers ces îles souriantes, se laisser porter par le vent frais, au murmure rythmé des vagues, n’importe où dans ce pays clair, coloré d’azur, de violet et d’or…

Deux pierres, placées de chaque côté du chemin, et, entre les deux, une croix de bois. C’est l’entrée de la terre sainte, l’endroit où l’on doit s’agenouiller : τὸ προσκύνημα τοῦ μοναστηρίου. Ici, tout bon chrétien devrait se découvrir, faire une dizaine de signes de croix et réciter quelques prières… Puis, à un brusque détour, dans une crevasse de la montagne, le monastère apparaît. C’est une petite maison, sèche et fauve, perchée là-haut comme un nid d’éperviers. Tournefort, qui vivait en un temps où l’on aimait peu les images pittoresques, dit qu’elle est plaquée aux rochers « comme une armoire. » Les moines ne peuvent même pas dire qu’ils dorment entre quatre murs, car la façade et les murs latéraux, étayés par des contreforts, s’accotent tout simplement à la montagne qui sert de mur de fond ; et quelques-unes des cellules aménagées dans les fente ? des roches sont vraisemblablement d’anciens terriers, un peu agrandis. Au seuil de la cour nous sommes reçus par un grand capuchon noir, d’où sort une longue barbe blanche et au fond duquel brillent deux petits yeux, aiguisés par l’ascétisme ou par la malice : on ne sait au juste. C’est le père Macarios, un des ermites les plus inquiétans que l’on puisse voir. Je le connaissais pour l’avoir rencontré souvent, par les sentiers, où il cheminait sans cesse, tout seul avec son bâton. Le père Macarios a presque cent ans ; on ne sait