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croupe. Les marchands de fait promènent de porte en porte leurs pots de fer-blanc et crient : Γάλα καλό ! Γάλα καλό ! (Bon lait ! bon lait !) Des cochons se vautrent dans des cours et cherchent à manger dans les détritus du ruisseau. On retrouve ici la pauvre bourgade qui a végété longtemps sur l’antique acropole d’Hermopolis. Maintenant, elle a secoué sa torpeur et débordé hors de ses étroites limites. Depuis qu’on peut s’installer au bord de la mer sans craindre les razzias des pirates, elle a descendu la colline pour attendre au passage les vaisseaux et les caïques, qui ne lui font plus peur et qui, au contraire, débarquent des richesses imprévues sur son sol ingrat. Justement, elle se trouve sur la grand’route des navires ; elle n’a pas eu de peine à devenir le premier port des Cyclades ; son rêve est d’être un des entrepôts les plus fréquentés du Levant. On se sent ici en présence d’une jeunesse pleine de sève et de promesses. L’élan vers le progrès, la loi dans l’avenir sont visibles. Si l’on compare cette résurrection rapide au délabrement des villes turques, on se dit que, seul, ce peuple, alerte et patient, est capable de rendre à l’Orient un peu de ressort et d’espoir.

Je faisais ces réflexions tandis que le canot-major du Seîgnelay se frayait une route parmi les petites barques de pêche, et me portait à bord du Panhellénion, minuscule vapeur grec, en partance pour Amorgos. Au moment où nous appareillons, un vaisseau de guerre de la marine hellénique entre en rade. C’est un petit aviso à trois-mâts, de forme élégante et légère. Il décrit une courbe gracieuse et mouille devant la douane. Au-delà, Tinos découpe sur le ciel pâle les dentelures de son profil allongé, et, très loin, dans le miroitement de l’étendue bleue, deux formes indécises : Mycono, Délos...


II.

Le Panhellénion met toute une journée pour aller de Syra à Amorgos. Il est vrai qu’il fait escale à Paros et à Naxos, et si, par hasard, le capitaine descend à terre, la durée du voyage est proportionnée au nombre de petits verres de raki que ses amis lui offrent pour lui souhaiter la bienvenue. C’est d’ailleurs un brave homme et un agréable compagnon que le capitaine Kostis. Chemin faisant, accoudé sur le garde-fou de sa passerelle, il me raconte la biographie de son bateau. Il paraît que le Panhellénion est un monument historique : « Il a fait la guerre ! me dit Kostis ; il a fait