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puis tout le monde n’a pas constamment l’argent nécessaire pour y acheter. La proximité, le crédit, sont des marchandises comme les autres, et on les paie. Or, le crédit, surtout dans les quartiers ouvriers, est indispensable. Tant qu’il y aura des gens imprévoyans, le petit commerce aura sa raison d’être et les petits magasins ne péricliteront pas. Bien plus, si leurs patrons sont assez intelligens pour profiter de l’expérience des grands magasins, et apportent dans l’exploitation du commerce de détail quelques-unes des méthodes qui ont fait leur fortune, rien ne dit que. le nombre des magasins ne s’accroîtra pas, tandis que certains gagneront en importance comme nous le voyons tous les jours sous nos yeux. Depuis 1860, le nombre des patentés a augmenté de 28,166 à Paris : il est aujourd’hui de 129,337. En 1860 on ne comptait que 416,811 ouvriers ou employés, en 1886 on en a recensé 709,360. D’après les enquêtes de la chambre de commerce, le chiffre d’affaires des patentés parisiens dépasserait quatre milliards par an. Les grands magasins de nouveautés ne figurent dans cet ensemble que pour 300 millions environ.

Ce que l’on ne sait pas, c’est que, si les grands magasins ont fait disparaître certains établissemens qui n’étaient pas nés viables, ils ont, d’un autre côté, fait éclore une foule de petites entreprises et de petits ateliers. Ainsi les magasins de nouveautés n’ont pas d’atelier d’ébénisterie, ils ne confectionnent pas les meubles qu’ils vendent au public. Ils les commandent à des maisons spéciales, souvent même à de petits ateliers qui se sont créés uniquement pour profiter de leur clientèle. On pourrait citer bon nombre d’ouvriers qui sont parvenus ainsi au patronat. De même pour la confection des vêtemens d’hommes et de femmes. Autour des grands magasins se sont créés des ateliers de confection qui sont presque alimentés exclusivement par les commandes de leurs puissans voisins. On aurait pu croire que l’extension des rayons de confection pour dames aurait ruiné les ateliers de couture. Or, en 1866, un rapport officiel évaluait le nombre des couturières ayant un atelier à Paris à 14,000. Vingt après, en 1886, M. Barberet établit, d’après les statistiques administratives, que le nombre des couturières n’est pas inférieur à 18,000, et depuis lors de nombreux ateliers ont été ouverts dans les quartiers neufs. En 1860 le nombre des personnes vivant à Paris de l’industrie du vêtement était de 78,377, aujourd’hui il atteint 290,252, c’est-à-dire qu’il a presque quadruplé. Le même phénomène a été constaté pour la lingerie et la confection pour hommes. On est fondé à dire que le commerce de détail souffre bien plus de la concurrence qu’il se fait à lui-même, par l’exagération de son nombre, que de la concurrence