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se faisaient sur place, dans un rayon extrêmement restreint ; ils étaient d’ailleurs rudimentaires comme les premiers besoins à l’enfance de l’humanité. Peu à peu ces besoins devinrent plus nombreux et le cercle des échanges s’agrandit. Pour se procurer des armes ou des vêtemens, pour modifier ou embellir sa maison, l’homme dut se déplacer et entreprendre de longues et périlleuses excursions. L’industrie était cantonnée sur certains points du sol dont elle transformait sur place les produits. Ainsi, le pasteur du Liban venait à Damas échanger la laine de ses troupeaux contre des lames de sabre que l’on ne forgeait que là, puis il poussait jusqu’à Beyrouth pour acquérir ces belles étoffes de soie ou de laine que tissaient les femmes du pays.

A la longue, une classe d’hommes se forma dont l’unique occupation consistait à se charger des échanges que les diverses classes de producteurs et de consommateurs se faisaient directement entre eux. Dès lors producteurs et consommateurs devinrent plus sédentaires, préférant livrer leurs produits à des marchands qui venaient les trouver chez eux, plutôt que de s’exposer aux ennuis et aux risques de lointaines pérégrinations. Et alors on vit se former ces caravanes qui, parties des points les plus reculés du monde, s’arrêtaient dans les principaux centres de population pour y vendre et y acheter des produits. Bientôt ces caravanes de marchands exécutèrent leurs voyages à des intervalles réguliers suivant un itinéraire déterminé. Leur arrivée était connue d’avance, et les habitans des contrées environnantes accouraient en foule pour se procurer, en échange de marchandises ou de métaux précieux, les produits que leur sol ou leur industrie ne leur donnaient pas. Telle fut l’origine des foires, dont l’importance a été si grande chez les peuples en formation et qui se sont perpétuées chez les nations où les moyens de transport sont encore imparfaits.

Ces foires, ou plutôt ces haltes de caravanes, très rares et très courtes au début, devinrent fréquentes. De plus en plus les populations s’y portèrent. L’abondance des produits exposés, leur variété, les usages nouveaux qu’ils révélaient, les distractions qui étaient l’accompagnement obligé de ces manifestations, tout était fait pour attirer l’acheteur. Mais en même temps ce dernier apprenait à connaître la valeur des produits par la comparaison qu’il en faisait et il n’était plus obligé de subir les conditions d’un vendeur ou d’un acquéreur unique. Déjà la concurrence faisait son œuvre, et, sous l’influence de cette quantité de marchandises accumulées, les prix se nivelaient et la valeur des choses se régularisait. De leur côté, les négocians nomades apprenaient à connaître le goût des acheteurs et s’ingéniaient à satisfaire