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disait, mais pouvait parler. Un autre, dont l’observation est rapportée par Giraudeau, pouvait en outre lire et écrire ; de sorte qu’il comprenait les questions qu’on lui adressait par écrit, et pouvait y répondre, soit par écrit, soit de vive voix. Mais le mot sonore, le mot qui retentissait à ses oreilles était pour lui aussi dénué de sens précis que le bruit du vent ou le roulement d’une voiture.

La surdité et la cécité verbales sont, remarquons-le, des aphasies sensorielles, qui empêchent les malades de comprendre le langage d’autrui. Il existe en outre des aphasies motrices, qui empêchent le malade d’exprimer sa pensée. Ces aphasies motrices sont aussi bien limitées, aussi indépendantes que les autres, et peuvent exister à l’état de pureté, sans complication d’aucune sorte ; le malade comprend la parole parlée et la parole écrite, mais il devient incapable de parler ou d’écrire.

La perte de la parole articulée, ou aphasie motrice d’articulation, nous est déjà connue ; nous en avons dit quelques mots en relatant les belles observations de Broca ; nous n’y reviendrons pas pour le moment. Il nous reste à dire un mot d’une seconde forme d’aphasie motrice, l’agraphie.

On désigne sous le nom d’agraphie la perte de la faculté d’écrire ; c’est une maladie du langage, qui est restée obscure et négligée jusqu’en ces dernières années ; on se contentait en général de cette remarque banale et peu juste que les aphasiques (ceux qui sont privés de l’usage de la parole) écrivent au moins, aussi mal qu’ils parlent, et que ceux qui ne peuvent pas parler du tout sont également incapables d’écrire. Il a fallu qu’on rencontrât des observations où l’agraphie existe seule pour qu’on comprît que cette altération du langage peut être produite par une lésion spéciale, et n’est pas une conséquence nécessaire de la perte de la parole. Cependant cette démonstration n’a pas encore été donnée en termes définitifs ; il y a des auteurs qui considèrent l’agraphie comme une forme particulière d’aphasie ; d’autres n’y voient qu’un effet d’autres troubles du langage. La question est encore à l’étude.

On vient d’étudier quatre formes principales d’aphasie ; ce nombre de quatre n’a rien de nécessaire ni de fatidique ; il est vrai d’une vérité approximative, comme le nombre sept pour les couleurs du spectre ; on n’a guère analysé jusqu’ici que quatre formes d’aphasie : certainement il en existe bien d’autres, telles que l’abolition du geste et de la mimique, la cécité musicale, etc.