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à se faire correctement, et le malade reconnaît les objets qu’on lui présente et peut en indiquer clairement l’usage. On en a vu qui jouent aux cartes et aux dominos, bien qu’ils soient devenus incapables de lire.

Le plus souvent, la cécité verbale accompagne d’autres troubles aphasiques au milieu desquels on a parfois peine à la discerner, mais on connaît des observations très pures où le malade présente le seul symptôme de la cécité verbale : il peut parler, écrire, il comprend ce qu’on lui dit ; mais les mots écrits, les livres et les journaux ne signifient plus rien pour lui. Tel est ce malade dont M. Charcot a longuement raconté l’histoire intéressante. C’est un commerçant intelligent et actif qui, un jour, pendant une partie de chasse, perd connaissance. En revenant à lui, il se trouve paralysé du bras et de la jambe du côté droit ; il bredouille, dit un mot pour un autre ; peu à peu la paralysie s’amende. Quinze jours après l’accident, il se croit à peu près rétabli ; il n’éprouve plus guère de difficulté de la parole, il dit seulement de temps en temps un mot pour un autre. La main est assez libre pour qu’il puisse écrire très lisiblement. Il veut donner un ordre relatif à ses affaires, prend une plume et écrit. Croyant avoir oublié quelque chose, il demande sa lettre pour la compléter, veut la relire, et c’est alors que se révèle dans toute son originalité le phénomène de la cécité verbale. Il avait pu écrire, mais il lui était impossible de relire sa propre écriture. A partir de la même époque, il s’est aperçu qu’il lui était impossible de lire un imprimé, tout autant et encore plus qu’une page d’écriture. Pour le guérir, on fut obligé de lui apprendre à lire, comme on aurait fait avec un petit enfant. La rééducation fut assez longue.

Cette observation instructive nous présente réunis deux faits qui sont, en apparence au moins, tout à fait incompatibles : la possibilité d’écrire et l’impossibilité de lire. Les psychologues n’auraient jamais pensé à isoler la faculté de lire et celle d’écrire. C’est la maladie qui montre que ces deux opérations sont indépendantes, et que par conséquent elles doivent s’accomplir au moyen d’élémens distincts. Nous reviendrons tout à l’heure sur ce sujet.

La surdité verbale, autre forme d’aphasie sensorielle, est pour le sens de l’ouïe ce que la cécité verbale est pour le sens de la vue. Ces deux aphasies sont en quelque sorte calquées l’une sur l’autre. Il est donc inutile de suivre dans les deux cas le même ordre d’exposition ; nous serions obligé de nous répéter. Changeons notre point de vue, et examinons les faits sous un jour un peu différent.

Qu’est-ce que l’audition ? On peut donner à ce mot plusieurs