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LE BERRY.


donc ? finit par crier le voyageur agacé. — Pour l’amour de Dieu, taisez-vous, lui dit tout bas le guide ; si vous parlez encore, nous sommes perdus !

Quand ils furent près de la ferme qui devait leur servir de gîte, l’étranger demanda au Brennois si ce qu’ils avaient entendu n’était pas le chant d’un oiseau de nuit ou le ululement d’une chouette ? « Ah ! monsieur, c’était le lupeux ! Ça vous tire des chemins si on lui répond, et il vous précipite dans l’étang le plus proche. Vous l’avez échappé belle ! »

II. — LA CHAMPAGNE, LA VALLÉE NOIRE, LÉGENDES RUSTIQUES.

Laissons le triste pays de Brenne, ses mornes étangs, pour pénétrer pendant quelques instans dans une région qui, il y a à peine trente années, était tout aussi désolée. Je veux parler de la Sologne berrichonne. Elle comprend le delta qui sépare la Loire et le Cher. Longtemps elle a été fiévreuse, empestée, mortelle à ses rares habitans. Grâce à l’impulsion donnée par la ferme impériale de Lamothe-Beuvron, à de nombreuses plantations de pins et de trembles, à des canaux profonds qui ont transformé l’eau stagnante en eau vive, le pays, si morne autrefois, est complètement transformé. Verts en été, jaunes en automne, des bouquets d’arbres réjouissent les yeux qu’attristaient autrefois des brandes incultes et désertes. Devenue un pays de chasse par excellence en raison de son éloignement des grands centres de population, la Sologne berrichonne est maintenant le rendez-vous des Nemrods de notre temps. Jappemens de chiens, cris de rabatteurs, fusillade nourrie, massacre d’innocens lapins, voilà ce qu’on voit et on entend à chaque automne, là où jadis régnait un silence de mort. Quant aux terrains, qui, depuis un temps immémorial, étaient sans valeur, ils ont, depuis 1880, quintuplé de valeur. Partout ailleurs, c’est sans exemple.

Pour compléter le tableau des divers terrains dont se composait l’ancien Berry, je n’ai plus qu’à parler de deux régions appelées autrefois la Champagne et le Boischaut. La première, située en partie dans le Bas-Berry, est une vaste formation crayeuse, dont les limites s’approchent de Châteauroux et de Buzançais, passent à Levroux, puis au-dessous de Vaton, et englobent les environs d’Issoudun, riches en produits maraîchers. Entre le Cher et l’Indre, la Champagne s’étendait encore jusqu’à la Touraine, entrant ainsi dans le Haut-Berry ; elle se prolongeait jusqu’à la partie nord de