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soutenir. Il a eu souvent des difficultés avec les républiques de la Plata, ses turbulentes voisines du sud. Il a eu surtout, entre 1865 et 1870, cette longue, sanglante et coûteuse guerre avec le Paraguay, où le Brésil avait trouvé dans le dictateur Lopez un adversaire redoutable qui lui faisait acheter cher la victoire. Au fond, dom Pedro II n’avait pas les goûts belliqueux et conquérans ; il ne songeait pas à étendre son empire déjà trop vaste. Par son caractère, par ses instincts, par la nature de son esprit, c’était un prince de la paix, concentrant son activité et son zèle dans les œuvres de la paix. Il n’avait d’autre préoccupation que de civiliser son empire, il a passé des années à y travailler en stimulant le commerce, en pressant la construction des chemins de fer, en ouvrant les grands fleuves à la navigation, en multipliant aussi les écoles, en transportant au Brésil les institutions de bienfaisance et d’économie publique. Le plus grand acte de son règne a été cette émancipation des esclaves, depuis longtemps l’objet de ses soins assidus, et définitivement accomplie, il y a trois ans à peine, en 1888. Il avait eu bien des difficultés, bien des préjugés à vaincre jusque dans son parlement, dans le pays lui-même ; il avait mis autant de constance que d’autorité persuasive à désarmer les résistances, à préparer ce qu’il considérait comme l’honneur de sa carrière de souverain, et il n’est pas sûr que ce qui aurait dû consacrer sa popularité n’ait contribué à sa chute. Depuis vingt ans, il avait plusieurs fois visité l’Europe, particulièrement la France, où il semblait se plaire, où il retrouvait toujours une hospitalité empressée. Il s’était fait la renommée d’un prince aux mœurs simples, à l’esprit cultivé et ouvert, fuyant les honneurs, recherchant la société des savans, — d’un prince enfin comme on n’en voit guère.

Pourquoi ce souverain, qui comptait plus d’un demi-siècle de règne et de services, a-t-il été renversé par ce coup de force militaire et nocturne du 15 novembre 1889, si facilement accueilli en apparence dans l’empire ? Peut-être cet abandon est-il dû en partie à cette abolition de l’esclavage qui a été la suprême illustration du règne et qui est resté pour les derniers partisans de l’institution servile un grief inavoué. Peut-être cette monarchie, la seule survivant en Amérique, paraissait-elle être désormais une anomalie sur un continent où il n’y a plus que des républiques. Les Brésiliens n’ont pas vu que cette monarchie, qui était pour eux une garantie de stabilité, était aussi la condition la plus efficace de tous les progrès, qu’elle se prêtait à leurs vœux les plus libéraux. Ce qui s’est passé depuis deux ans ne prouve certes pas jusqu’ici la nécessité et l’opportunité de la révolution du 15 novembre. Dom Pedro II, quant à lui, ne tenait pas à la couronne ; il tenait à son pays, et, s’il n’a pas quitté le Brésil sans amertume, sans inquiétude pour son peuple, il a subi son destin sans murmurer, sans se livrer à de vaines protestations, sans susciter une difficulté à ceux